6 questions à : Bleuenn Guillou

Bleuenn Guillou est éditrice indépendante. Elle a commencé par une licence d’histoire, puis un master de recherche en histoire romaine. Elle s’est ensuite réorientée vers un master édition papier et numérique à l’Université Gustave-Eiffel (anciennement Université Paris-Est Marne-la-Vallée), dont elle est sortie diplômée en juin 2018. Bleuenn a alors enchaîné les missions auprès de maisons d’édition (éditions du Chat Noir, Leha, Mnémos, Larousse jeunesse…). Elle a donc déjà un CV bien chargé et des expériences multiples.

Je lui ai posé quelques questions sur son travail. Je la remercie d’avoir pris le temps de partager son expérience !


Tu es éditrice chez Mnémos mais aussi directrice du pôle jeunesse aux éditions Leha et dans le cadre de tes activités en freelance, tu proposes tes services aux particuliers. Qu’est-ce qui nourrit ta passion pour l’édition ?

Je pense que les livres ont un rôle important à jouer dans la vie de chacun, et plus particulièrement encore pour les adolescents. C’est souvent à cet âge-là, au début du lycée, que les jeunes décrochent de la lecture – ils ne sont plus poussés par leurs parents et les lectures scolaires ont tendance à les dégoûter de la lecture. Or, pour moi, c’est capital de leur montrer que des romans extraordinaires existent pour eux. Mon objectif premier, c’est de donner envie de lire à des adolescents qui en avaient perdu le goût. Moi-même, entre le lycée et mes études d’histoire, j’ai quasiment cessé de lire – plus le temps.

Et alors que je commençais mon master d’histoire, je suis tombée sur l’affiche du film Hunger Games, qui m’a immédiatement interpellée. Je m’y suis intéressée, j’ai découvert que c’était une trilogie, et je l’ai dévorée avant la sortie du film. Ça a été un immense goût de cœur, et depuis, je n’ai plus jamais arrêté de lire. C’est ce que je veux provoquer. Je suis persuadée que tout le monde peut aimer lire : le tout, c’est de trouver les livres qui nous conviennent. Quels qu’ils soient ! BDs, mangas, essais, romans de tous genres. Et j’ai envie de trouver ces pépites pour les gens, et notamment les adolescents.

En général, quel était le travail nécessaire à apporter aux manuscrits que tu as publiés jusqu’ici ? Est-ce qu’il y a un problème qui revient régulièrement dans les manuscrits sur lesquels tu travailles ?

Je publie principalement des primo-auteurs, donc le travail est souvent important. Parfois, avant même la signature du contrat, j’ai demandé des modifications importantes en expliquant que j’aimais le roman, mais que tel quel il n’était pas suffisamment abouti pour l’édition. En général, je fais un bilan avec les corrections les plus importantes, ensuite un deuxième passage avec les corrections détaillées phrase à phrase et enfin une dernière relecture pour s’assurer que tout est ok.

Chaque travail est vraiment propre à chaque manuscrit, difficile de faire des généralités ! Pour certains cas, je devais aider à réduire, car les auteurs s’étalaient trop de manière inutile, ce qui nuit à la tension du texte. Pour d’autres cas, au contraire, je donnais des pistes pour étoffer des scènes ! Je reviens sur les tics d’écriture aussi, propres à chaque auteur (et parfois, ils évoluent de roman en roman !).

Souvent tout de même, je suis obligée d’effectuer un gros travail sur la fin : elle est rarement à la hauteur du reste du manuscrit. Pourquoi ? Difficile à dire : peur de ne pas aller au bout, difficulté à quitter ses personnages, etc. En tout cas, c’est souvent une partie à laquelle je consacre beaucoup de temps !

Tu es obligée de faire un choix entre : une magnifique écriture/une narration moyenne et une magnifique narration/une écriture moyenne. Que choisis-tu en tant que simple lectrice ? Et en tant qu’éditrice ?

Alors pour certains c’est un dilemme, pour moi c’est très vite répondu, que ce soit en tant que lectrice ou qu’éditrice, ma réponse est la même : je préfère une magnifique narration et une écriture moyenne. Je suis peu sensible aux styles d’écriture, je dois l’admettre. Pour moi, l’écriture doit être au service de l’histoire et pas l’inverse. Si l’écriture est magnifique mais qu’il n’y a pas d’histoire, quel est l’intérêt ? Tous les éditeurs et tous les lecteurs ne partagent bien sûr pas ce point de vue, certains ont besoin d’être transportés par l’écriture, mais ce n’est clairement pas mon cas. Moi je vis pour les personnages, pour ce qu’ils traversent. Bien évidemment, si l’écriture est vraiment pauvre, ça va desservir l’intrigue. Mais ce que je préfère, ce sont les écritures « invisibles » : celles qu’on remarque à peine tellement on est pris dans l’histoire. Encore une fois c’est un choix vraiment personnel !

À quoi ressemblent tes journées de travail ? Passes-tu beaucoup de temps à discuter avec les auteurs des manuscrits sur lesquels tu travailles ? Sur combien de manuscrits peux-tu travailler à la fois ?

Alors j’ai peu de journées types, c’est l’avantage d’être indépendante ! Mes journées sont plutôt variées. Mais globalement, j’ai toujours un moment de corrections éditoriales, qui prend d’un tiers à trois quarts de ma journée suivant la période. Je peux aussi lire des manuscrits, travailler sur des argumentaires, faire des quatrièmes de couverture, chercher un illustrateur pour une couverture, bref : tout le travail annexe autour de la publication des romans. Comme je m’occupe aussi des réseaux sociaux, il y a un temps prévu pour mon planning de communication et le montage de posts, puis leur publication. Enfin, j’ai toujours une ou deux prestations pour les particuliers en cours, donc je m’occupe de la lecture et du bilan de leur manuscrit, ou la correction d’un synopsis ou d’un pitch. Je n’ai vraiment pas le temps de m’ennuyer en tout cas !

Discuter avec les auteurs est évidemment une part importante de mon travail, surtout en amont des grosses modifications. On se met d’accord, on s’assure qu’on est sur la même longueur d’ondes. Je discute aussi avec mes auteurs à propos de la couverture (c’est très important qu’ils l’aiment), du résumé, des points forts de leur roman. Je leur demande aussi s’ils ont des idées pour la promotion de leur roman. Bref : j’essaie de les impliquer et de les faire participer à la publication de leur roman, je trouve ça très important !

Je peux travailler sur deux ou trois manuscrits à la fois, en général. Parfois 4 quand il y a la correction d’une traduction et une fiche-lecture pour un particulier, mais pas plus. En général, je tourne plutôt autour de deux, j’essaie de ne pas en avoir trop à la fois pour ne pas m’éparpiller.

As-tu beaucoup de liberté dans le choix des manuscrits ? Comment les projets te parviennent ?

Oui, les directeurs des maisons d’édition pour lesquelles je travaille me font confiance. En général, ils se sont tournés vers moi car je suis spécialisée en Young adult, qui est une catégorie particulière avec un public spécifique, et qu’eux-mêmes ne connaissaient pas forcément ce marché. Du coup, l’idée c’est que je m’en occupe. Bien entendu, ils n’acceptent pas forcément mes propositions à cause de la ligne éditoriale, mais en général ils me font confiance et me laissent une grande liberté dans le choix des manuscrits. Ce que j’apprécie particulièrement !

Alors mes soumissions sont fermées, j’ai déjà assez de mal à trouver le temps de lire les manuscrits qui m’attendent (quand on est éditeur indépendant, on n’est pas payé pour la lecture des manuscrits). Du coup, trois moyens pour moi de récupérer des manuscrits : je fais appel à des auteurs que je connais et apprécie, déjà. Ensuite, les speed-editing organisés par les salons, auxquels j’aime beaucoup participer pour découvrir de nouveaux auteurs. Enfin, j’organise des soirées de soumissions de pitch sur mon compte Twitter, qui me permet de déceler quelques projets qui m’intéressent. Avant, je zieutais aussi les projets des forums d’écriture, mais maintenant je n’ai plus le temps. Rien qu’avec ça, j’ai toujours une bonne dizaine de manuscrits en attente de lecture !

Que se passe-t-il quand tu recommandes à un auteur un changement et qu’il répond : « Hors de question » ? Si un élément est important d’un point de vue artistique pour un auteur mais que l’éditeur pense qu’il est tout aussi important de changer cet élément, l’auteur doit-il avoir peur de voir l’éditeur abandonner le projet ?

Alors, pour les modifications importantes, j’en discute toujours avec l’auteur en amont de la signature du contrat. Si l’auteur est en désaccord avec des modifications que j’estime indispensable, alors nous ne signons simplement pas le contrat : il vaut mieux qu’il trouve un éditeur en accord avec sa vision. Mais là, on parle vraiment de modifications qui changent l’histoire en profondeur. Le tout c’est d’être sur la même longueur d’ondes avec l’auteur, et si on ne l’est pas, la collaboration ne sera pas productive, pour l’un comme pour l’autre. Pour moi, c’est essentiel qu’on partagent les mêmes envies et la même vision du texte. Ceci dit, ça ne m’est jamais arrivé : toutes les modifications que je demande sont argumentées, et les auteurs ont toujours été d’accord avec mes propositions – ils savent bien que mon but est le même que le leur : que leur roman soit le meilleur possible.

Pour toutes les modifications mineures, ça sera toujours l’auteur qui a le dernier mot. Je ne compte pas me battre contre un auteur : c’est son texte, c’est son nom qui sera sur la couverture. Il conserve sa mainmise dessus, je ne fais que des propositions que l’auteur est libre d’accepter ou de rejeter. Mais jamais je ne l’obligerai à quoi que ce soit !

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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2 commentaires

  1. « L’écriture doit être au service de l’histoire et pas l’inverse »: je suis tout à fait d’accord avec Bleuenn Guillou. A quoi sert-il d’avoir une belle écriture si on n’a rien à dire? J’aime bien la façon dont elle envisage les rapports entre un éditeur et un auteur. Cela dit, se concentre-t-elle uniquement sur les textes pour « young adults »? Je serais heureux de le savoir. Merci.

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