Il y a trois ans, j’ai essayé d’écrire sur un sujet de société : le changement climatique. En tant que mère, je m’inquiète du monde dans lequel vivront mes enfants. Il y a trois ans donc, quand ma fille est née, j’ai eu le sentiment qu’écrire à ce sujet était mon devoir de mère. Je me disais que si je pouvais inspirer et pousser les autres à s’engager dans la lutte climatique grâce à mon écriture, ce serait une petite victoire.
Évidemment, j’avais tort.
J’avais beau m’être renseignée sur la lutte contre le changement climatique, sur la façon de se servir de la psychologie, de la communication et des neurosciences pour dépasser ce qui nous empêche de nous concentrer sur ce sujet de société… Il y avait quelque chose dans ma façon d’écrire qui n’allait pas.
J’ai fini par comprendre que le problème se situait dans mon intention. En essayant d’inspirer les autres pour qu’ils se se sentent concernés par le sujet qui me préoccupait, j’étais prise dans un piège : je n’écrivais pas sans arrière-pensées. Et alors que c’est peut-être l’état d’esprit requis quand on est activiste, ça ne l’est pas quand on écrit un essai, quelque chose de personnel. Ce qui était mon cas.
Pour écrire efficacement sur n’importe quel sujet de société (et surtout sur un sujet comme celui-là qui peut crisper), je devais changer d’angle. Voici trois réflexions qui peuvent vous aider si vous aussi vous faites face à ce genre de difficulté.
1. Débarrassez-vous de vos arrières-pensées.
J’ai eu, un jour, une discussion avec une amie qui se rendait à une manifestation. C’était une toute petite manifestation. Une trentaine de personnes prévoyaient de faire un sit-in devant la mairie de la ville. J’ai trouvé ça intéressant mais d’un point de vue pragmatique, je trouvais ça un peu vain. Alors j’ai demandé à mon amie : « Tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ? »
Elle m’a répondu : « Je ne sais pas. Mais c’est pas ce qui compte. Il faut surtout se demander : est-ce que c’est une bonne chose ? Je sais que je fais bien. »
C’était une façon simple, sage et valorisante de penser peu importe l’action concernée. Y compris l’écriture. Ça m’a plu. Agir avec une arrière-pensée (particulièrement avoir pour objectif de persuader les autres) signifiait que ma définition du succès dépendait de quelque chose que je ne contrôlais pas : la réaction des autres. J’avais compris que le mieux était de me poser cette question : est-ce une bonne chose à faire ?
2. Faire preuve d’humilité.
En me donnant pour objectif de pousser les autres à agir sur un sujet que je trouvais primordial, je me sentais comme si le destin du monde entier dépendait de moi. Je me suis sentie aussi bien ridicule puisque je n’avais évidemment aucun impact. C’est un piège dans lequel les activistes et ceux qui écrivent sur les sujets de société peuvent facilement tomber. Mais c’est aussi rébarbatif (et inutile) qu’essayer de changer le comportement de votre partenaire plutôt que le vôtre quand quelque chose ne va pas dans votre couple. Pour espérer écrire correctement et librement, je devais me débarrasser de cette arrogance, moins penser aux autres et me regarder dans un miroir.
3. Être sincère.
Un jour où j’avais le moral en berne, mon conjoint m’a demandé : « Qu’est-ce qui est le plus important pour toi : lutter contre le changement climatique ou être écrivain ? » Spontanément, j’ai répondu : « Je suis un écrivain ! » Et j’ai de suite compris qu’il me fallait approcher le sujet sous un autre angle. Pas en essayant de pousser les autres à quoi que ce soit mais en réfléchissant à ma propre histoire, celle d’une mère à l’ère du changement climatique. L’histoire de ce qu’on ressent quand ceux qu’on aime courent un danger sur lequel on n’a aucune prise. Il me fallait puiser en moi pour être plus sincère et authentique.
Finalement, c’est un projet que j’ai laissé dans un coin inachevé et j’ai écrit à la place un recueil de nouvelles. Mais ça m’avait fait du bien de comprendre ce que je voulais raconter. Et ça a été une bonne piqûre de rappel : la clé de voûte d’un auteur ne devrait jamais être la persuasion mais plutôt la vérité. Et pour le moment, ça me suffit.
J ai vécu la même expérience sur la pollution et le déséquilibre ressentis en Algérie.Finalement tout le monde s en foutait même les les plus concernés et les autorités locales de la ville où je soulevait le problème de la rivière locale dans un état de pollution et déséquilibre très avancé. Qui vivra verra….
J’imagine ta frustration, Ayoub. Malheureusement, on attend souvent d’avoir le nez dans les dégâts pour agir et à ce moment-là, c’est déjà trop tard !
Pour moi, le rôle de l’écrivain en matière de littérature engagée est de témoigner de son point de vue. (qui est théoriquement unique, puisque nous avons tous des expériences de vie différentes). Effectivement, on ne peut ni convaincre, ni persuader et on n’est presque jamais parole de vérité. Par contre, on peut aborder des problématiques de société dans un récit, regrouper plusieurs thèmes qui font débat, les présenter de plusieurs manières, soit en arrière-plan, soit en les plaçant au cœur de l’intrigue. J’aime aussi que les personnages soient en conflit sur ces thèmes et puissent avoir des convictions différentes. Ainsi, on peut parler de presque tout sans avoir l’air moralisateur.
Je crois qu’en résumé, être engagé signifie soulever des problèmes, et pas nécessairement proposer des solutions. (dans le contexte d’un roman de divertissement)
Par contre, attention. Quand on commence à causer problèmes de société, il faut s’attendre à avoir des réactions de lecteurs qui auront sur le sujet des points de vue différents et qui le feront savoir. Il faut être prêt à en débattre et ça peut être douloureux, lorsque ça tient vraiment à cœur. Il faut avoir cela en tête avant de se lancer dans l’écriture d’un texte engagé destiné à un public.
Merci pour ce message qui complète à merveille cet article, Monsieur le Monstrothécaire ?