Les blessures émotionnelles sont bien plus qu’un souvenir désagréable : c’est un moment traumatisant passé qui génère une peur si profonde qu’elle modifie le comportement et les croyances d’une personne, souvent de manière négative et malsaine. Les blessures sont quelque chose que nous partageons tous, car la vie peut être un enseignant à la dure.
On le sait, les expériences du monde réel doivent également se retrouver dans les livres. Donner aux personnages une histoire douloureuse les rend crédibles aux yeux des lecteurs. Souvent, ces blessures sont partagées avec les lecteurs, car il est essentiel que le personnage les surmonte pour aller de l’avant et atteindre l’objectif de l’histoire (l’arc du personnage). Mais quand il s’agit de décrire ce qui s’est passé, de nombreux auteurs se lancent tête baissée dans un excès d’informations, espérant qu’un résumé permettra de créer un raccourci vers l’empathie et de mettre le lecteur au courant. Malheureusement, ces excès d’informations ont souvent l’effet inverse, créant une écriture lourde et sans vie qui peut susciter un peu de sympathie, mais pas d’empathie.
Il peut être tentant de se précipiter dans le récit. Les blessures émotionnelles sont particulièrement complexes et en montrer les séquelles demande beaucoup de travail. Mais utiliser l’exposition pour de mauvaises raisons porte atteinte à la règle d’or : les lecteurs lisent pour vivre quelque chose de significatif. Quelle que soit la quantité d’huile de coude nécessaire pour offrir cette expérience, c’est ce que nous devons faire.
Révéler le dysfonctionnement
Montrer l’impact du passé sur la psyché d’un personnage se fait mieux par l’action, car après un événement blessant, le comportement change, parfois radicalement. Un personnage confiant, gentil et sûr de lui qui est victime d’une violente invasion de domicile peut devenir méfiant, paranoïaque et blasé à l’égard du monde en général. Il peut devenir obsédé par la sécurité, se sentir anxieux quand il est seul à la maison et refuser de sortir parce qu’il pense que s’il était vulnérable chez lui, une autre attaque pourrait se produire n’importe où. Son état d’esprit passe de la poursuite de ses rêves et de la réalisation de ses désirs à la peur et il va agir de manière à ce que cet événement douloureux, ou un autre semblable, ne se reproduise pas.
Un personnage peut rester dans cet état dysfonctionnel pendant des années (ou des décennies !), rationalisant son comportement et ses choix, peu importe à quel point ils le limitent. En tant qu’auteurs, nous voulons mettre en avant ce comportement néfaste afin qu’il serve de fil conducteur au changement que le personnage subira au cours de son arc. L’un des moyens de montrer l’impact d’une blessure est d’utiliser des mécanismes de défense : des comportements ancrés dans la psychologie humaine qui sonneront juste pour les lecteurs.
Mécanismes de défense
Dans le monde réel, quand on perçoit des signes d’une possible récurrence d’un événement traumatique ou des émotions négatives qui y sont liées, des mécanismes de défense se mettent en place pour nous protéger. Ces mécanismes peuvent ne pas être bons pour nous ou nos personnages, mais comme ils sont inconscients, on n’en est généralement pas conscients. Quand le lecteur voit le personnage utiliser à plusieurs reprises l’une de ces techniques de protection, il comprend que quelque chose ne tourne pas rond et que la circonstance peut renvoyer à un événement passé douloureux. Voici une liste de quelques mécanismes de défense.
Le déni
Le déni se produit quand le personnage refuse d’admettre qu’un événement blessant s’est produit. Il peut commencer par une dénégation verbale, mais si la pression augmente, il deviendra plus agité. En fonction de sa personnalité, son comportement peut évoluer vers l’agression ou la violence dans le but d’empêcher les autres d’aborder le sujet qui l’effraie. Quand le sujet est abordé dans une conversation, le personnage se désengage et s’enfuit ou devient conflictuel.
La rationalisation
La rationalisation se produit quand le personnage tente de se convaincre et de convaincre les autres que ce qui s’est passé n’était pas si grave. La victime peut également rationaliser le comportement de l’agresseur. C’est le cas quand une personne maltraitée par son partenaire lui trouve des excuses : il n’est comme ça que quand il boit, ou j’aurais dû l’appeler pour lui dire que j’allais être en retard. L’avantage de ce mécanisme est qu’il rend l’incident blessant évident. Ensuite, quand le personnage commence à essayer de le normaliser, les lecteurs verront sa réaction malsaine et reconnaîtront qu’elle altère son psychisme d’une manière alarmante.
Le passage à l’acte
Le passage à l’acte est souvent considéré comme un comportement indésirable visant à attirer l’attention, alors qu’il s’agit en réalité d’une manière extrême d’exprimer ses désirs ou de libérer des émotions que la personne est incapable de communiquer de manière saine. Quand un enfant se met en colère et pique une crise, c’est en général parce qu’il ne sait tout simplement pas comment exprimer ce qu’il ressent.
Dans le cas d’un événement blessant, vous pouvez illustrer ce mécanisme en plaçant le personnage dans une situation où on attend une certaine réaction, puis en le faisant réagir de manière exagérée ou inattendue. Par exemple, une femme qui vit une relation avec un partenaire qui contrôle sa vie peut désespérément vouloir se contrôler elle-même, mais ne se sent pas à l’aise de le demander. Ainsi, quand elle se sent particulièrement oppressée, elle vole des choses, des choses dont elle n’a même pas besoin, mais qu’elle ne peut s’empêcher de prendre.
La dissociation
La dissociation est un état dans lequel une personne se sent déconnectée de son corps, de ses émotions ou du monde en général. Cette séparation est un moyen de se protéger des sentiments indésirables ou des déclencheurs associés à un événement blessant. Dans les cas les plus graves, la personne se trouve dans un état constant de dissociation, vivant dans un rejet permanent de ce qui est réel. La perte de mémoire est également une forme de dissociation ; si votre personnage ne peut se souvenir de certaines périodes du passé, ça peut indiquer qu’il se protège d’un souvenir ou d’un événement douloureux.
La projection
La projection se produit quand un personnage attribue à quelqu’un d’autre des traits, des attitudes ou des motifs indésirables. Ce mécanisme permet au personnage d’éviter ou de nier les choses qu’il n’aime pas chez lui. Par exemple, un adolescent qui a été agressé verbalement par un parent peut retourner ces insultes blessantes contre un ami, en le traitant de con, de moche, de salaud ou de faible. En appliquant ces étiquettes à quelqu’un d’autre, le personnage les sépare de lui-même. Que ce soit vrai ou faux n’a aucune importance. S’il se convainc que ces étiquettes sont justes pour son ami, il peut se sentir mieux en comparaison.
La compensation
La compensation, c’est s’efforcer de prouver aux autres et à soi-même qu’une faiblesse réelle ou perçue n’existe pas. En ce qui concerne les blessures, elle est utilisée pour compenser une déficience dont le personnage pense avoir fait preuve au cours d’un événement passé ou pour regagner quelque chose qu’il a perdu à cause de cet événement. Pour ce faire, on met généralement l’accent sur certaines qualités, aptitudes ou caractéristiques physiques afin de prouver qu’on est fort dans le domaine où on n’est pas parfait. Un garçon qui a été harcelé parce qu’il était faible peut grandir avec un désir féroce de prouver ses prouesses physiques ; en passant son temps dans une salle de sport, en pratiquant des sports de combat ou en prenant des stéroïdes.
Il existe de nombreux autres mécanismes de défense à explorer, mais le fait de révéler les séquelles des blessures à travers le comportement vous permet de les montrer petit à petit tout en soulignant sur le poids étouffant des blessures. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, les peurs, les déclencheurs, les évitements, les mécanismes de défense et les autres réactions du personnage renforceront l’idée qu’il ne s’agit pas simplement d’un événement isolé, mais d’un moment passé débilitant qui continue de hanter le personnage des années plus tard, jusqu’à aujourd’hui.
Passionnant ! Je crois bien que c’est la première fois que je vois ces sujets être traités et tu l’as fait avec beaucoup pédagogie, je vais méditer tout ça pour améliorer mes personnages !
Merci !!
Ravie que l’article t’ait plu, Roxane !