J’ai récemment regardé Adult World, un film sur une jeune poétesse qui galère à trouver un éditeur. Dans une scène, sa colocataire, pas vraiment écrivaine, apprend qu’un éditeur souhaite la publier. La poétesse réprime sa jalousie (et une certaine colère face à l’injustice de la situation), affiche un sourire forcé et félicite sa colocataire. Évidemment, c’est la bonne chose à faire, car elle doit tenir compte des sentiments de quelqu’un d’autre. Mais de temps en temps, je lis des conseils qui découragent la jalousie, la colère, l’indignation, etc. dans un cadre privé, dirigées vers d’autres auteurs ou vers les éditeurs (ou agents) qui refusent un manuscrit. Mais ça ne semble guère réaliste ni juste de demander à un humain d’arrêter d’être humain. C’est déjà assez difficile de se sentir mal sans avoir en plus à culpabiliser d’avoir des émotions négatives, c’est pourquoi j’aimerais proposer quelques nuances à ces conseils.
N’enviez pas le succès d’un autre auteur trop longtemps.
Vous avez peut-être 38 ou 52 ans, et le quatrième livre que vous avez envoyé aux éditeurs est, comme les trois premiers, rejeté par tous. Et là, un jeune de 18 ans décroche un énorme contrat d’édition avec son tout premier manuscrit, qui, en plus, est adapté en film.
Évidemment, vous souhaitez que ce jeunot n’ait pas plus de chance que d’avoir déjà gagné au loto. Vous cherchez une petite faille dans son avenir : le gamin aura une place plutôt minable aux Oscars, alors que les acteurs du film tiré de son livre seront bien placés eux (et toc !).
Saisissez cette victoire hypothétique. Et quand la rage s’estompe, pensez à la joie que vous éprouveriez si vous étiez ce jeune homme de 18 ans. Rappelez-vous ensuite que l’univers est fait de chaos et de hasard, que l’art est subjectif et n’a rien à voir avec la « justice », et qu’il y a de nombreuses raisons (ou aucune raison) au succès ou à l’échec d’une personne. Revenez ensuite au synopsis que vous étiez en train d’écrire et rappelez-vous qu’il y a de la place pour vous deux.
Ne râlez pas trop longtemps.
Votre livre est trop subtil pour eux, vous direz à votre plat de spaghetti. Ou bien trop complexe. Trop stratifié. Une satire tellement réussie qu’elle leur est passée sous le nez. Allez-y ! Blâmez les éditeurs aveugles.
Ensuite, réfléchissez à ce que vous avez écrit. Passez en revue les personnages, leurs conflits, les points forts de l’histoire et les arcs narratifs, mais faites-le d’un œil critique. S’il y a un point d’achoppement, ou si vous constatez qu’il s’agit en fait d’un fouillis confus, corrigez-le. Mais si vous êtes toujours satisfait de votre travail, demandez-vous si vous vous êtes adressé correctement à l’éditeur. Envisagez également la possibilité que votre manuscrit ne soit tout simplement pas au goût de l’éditeur qui l’a refusé, continuez de penser que votre livre est « trop » quelque chose et qu’il a juste besoin du bon éditeur. Revenez ensuite à ce synopsis que vous étiez en train d’écrire pour la maison d’édition que vous avez mis de côté parce qu’elle exige un $%!& de synopsis.
Ne rabaissez pas les écrits des autres trop longtemps.
Oui, vous irez sur Amazon et cliquerez sur « Regarder à l’intérieur ». Vous lirez la première page du roman de ce jeune homme de 18 ans et vous vous écrierez : « Le mien est tellement mieux ! ». Vous gémirez dans vos spaghettis. Peut-être que votre roman est meilleur. Peut-être qu’il ne l’est pas, mais si vous essayez de le vendre, vous devez évidemment croire que votre travail est aussi bon, voire meilleur. Si ce n’était pas le cas, vous ne vous adresseriez pas à des éditeurs, n’est-ce pas ? Fermez la page Amazon quand vous avez fini de lire l’extrait (mieux encore, achetez le livre, peut-être que vous l’aimerez), oubliez l’autre auteur, continuez de penser que votre roman est suffisamment bon, point final. Retournez à ce synopsis que vous étiez en train d’écrire.
Ne détestez pas votre travail trop longtemps.
Vous avez peut-être jeté un coup d’œil sur Amazon et découvert que ce jeune homme de 18 ans est un génie. Le choix des mots, les assonances, les métaphores, c’est brillant ! Vous détestez ce gamin ! Et vous détestez vos choix de mots, votre dédain pour les métaphores et votre manque d’aptitude à la poésie. Vous ne serez jamais aussi bon que ce jeune de 18 ans, et vous vous morfondez sur votre dernier spaghetti trempé de sauce et de larmes. Et peut-être que vous ne serez jamais aussi bon (pas de cette manière). Mais peut-être qu’au lieu d’écrire des métaphores stupéfiantes, vous plantez un décor comme personne d’autre. Vos mots ne sont peut-être pas très recherchés, mais ils sont « justes ». Votre cadence n’est peut-être pas poétique, mais votre chapitre pourrait occuper les pensées d’un lecteur pour le reste de la journée.
N’exprimez aucun de vos sentiments naturels et spontanés, « tous les autres sont horribles » dans un article de blog, ou à des personnes qui ne vous connaissent pas très bien et qui vous aiment. C’est tout simplement une mauvaise idée.