Je regardais hier le célèbre portrait de Philip Roth réalisé par Irving Penn, publié dans un vieux numéro de The New Yorker. La photo, prise en 1983, le représente à l’âge de 50 ans. Une période où les dons d’un écrivain sont pleinement mûrs, paraît-il. Les photos d’Irving Penn de plusieurs autres écrivains (Joan Didion, Truman Capote, Carson McCullers) sont mythiques.
Celle de Philip Roth est une étude de caractère d’un auteur connu pour les personnages qu’il a créés. Alexander Portnoy, obsédé par le sexe, l’écrivain torturé Nathan Zuckerman (présent dans neuf livres), Seymour « Swede » Levov, le protagoniste de Pastorale américaine, prix Pulitzer de la fiction en 1998…
À bien des égards, un portraitiste connaît le même problème que les auteurs de fiction : créer et révéler un personnage. Alors comment Irving Penn s’y prend-il pour nous raconter l’histoire de Philip Roth, limité par une fraction de temps, une image en deux dimensions, un arrière-plan et toutes les nuances qu’il peut créer ?
Irving Penn éclaire Philip Roth en noir et blanc, ne laissant rien détourner l’attention de l’apparence bien travaillée de l’auteur. Son visage est légèrement incliné vers le haut, de sorte que nous ne le voyons pas de face, mais dans une pose triomphante, indomptable, son crâne dégarni, noir de boucles d’une tempe à l’autre. Les cheveux ressemblent (et j’imagine que c’est voulu) aux lauriers décernés à un conquérant. Chez un homme moins important et devant un objectif moins talentueux que celui d’Irving Penn, ces mêmes boucles pourraient encadrer le visage d’un clown.
Irving Penn raconte presque toujours ses histoires à travers des plans serrés du visage. Philip Roth est rarement photographié souriant. Irving Penn immortalise les lèvres minces de Roth, de façon à ce qu’elles semblent scellées, retenant un message refoulé. Lequel (la colère ? L’intellect ?) ? Le grand nez, presque bulbeux, semble presque architectural et façonné ; il devient une proue, un beaupré. Et puis on remarque, à peine, au bord inférieur de la photo, que Philip Roth porte une chemise, probablement blanche. Seul le col est visible, de sorte qu’il pourrait s’agir d’une serviette portée autour du cou d’un boxeur tout droit sorti du ring. De quoi rendre Norman Mailer jaloux ? Sur la photo de Norman Mailer prise par Irving Penn, les mains de l’auteur sont repliées sur le visage et nous font probablement un doigt d’honneur. C’est tout lui, le portraitiste ne s’est pas trompé.
Le caractère est en partie dans les yeux et, surtout, dans la façon dont ils sont utilisés. Prenez la déesse de l’écran des années 40 et 50, Lauren Bacall. Sur presque toutes les photos, elle regarde du coin de l’œil ou par-dessus son épaule. Elle est chic et dangereuse. Dans l’image qu’Irving Penn donne de Philip Roth, les yeux regardent au loin, fixés vers le haut.
Pour les écrivains, la couleur des yeux est un élément obsessionnel, presque compulsif, dans la description des personnages. Je plaide coupable. Et on a certainement tous lu toutes les descriptions possibles des yeux verts « séduisants ». Mais les portraits d’Irving Penn ignorent la couleur. Une photo de la poétesse Patti Smith prise par Irving Penn la montre désinvolte, les épaules nues et les yeux perdus dans le vague.
Notez que ce n’est pas seulement la forme de l’œil qui importe, ni l’écart pupillaire ni les cils. La meilleure histoire émerge de la pose prise par le sujet. Il regarde quelque chose, et ce qu’il voit, ou trouve important, raconte toute une histoire. Souvent, peut-être trop souvent, les auteurs décrivent des yeux qui se rétrécissent, qui pétillent ou qui s’agrandissent soudainement. On décrit rarement les yeux par leur fixation. Qu’est-ce que le personnage a donc envie de voir ? Dans quelle mesure est-il important pour l’histoire de savoir ce que veut le personnage ? Le plus souvent, quelqu’un veut ce qu’il regarde. Oubliez les 50 nuances de bleu « pétillant ». Il vaut mieux montrer au lecteur le point de focalisation du personnage. Qu’est-ce qui attire le plus son attention et révèle un élément de son être ?
On pourrait se demander ici ce que font les grands jeunes portraitistes de notre époque. La réponse est à peu près la même chose que les portraitistes comme Irving Penn. Mais plus souvent avec de la couleur. Annie Leibowitz, célèbre pour ses photos dans Rolling Stone, Vanity Fair et Vogue, raconte qu’à l’école, « on ne m’a rien appris sur l’éclairage et on ne m’a enseigné que le noir et blanc ». Elle a appris la couleur toute seule. Pourtant, quand elle fait à son tour le portrait de Patti Smith, la couleur est accessoire, à peine présente. Peut-être a-t-elle créé une ambiance bleutée et mélancolique au lieu de la pureté froide du noir et blanc. Quoi qu’il en soit, c’est le regard froid de Patti Smith et les accessoires sombres qui l’entourent qui disent « cavalier, passe ton chemin ».
Aujourd’hui, le portrait est toujours principalement axé sur le visage, mais même avec l’introduction de la couleur, les arrière-plans restent souvent presque accessoires. La photographe Sue Bryce démontre que l’arrière-plan est moins une question d’information que de capture d’un « look ». Peter Hurley se définit lui-même comme un « headshot photographer » et se passe parfois complètement d’arrière-plan. Le visage prédomine et constitue son propre décor, ce qui explique pourquoi l’arrière-plan peut être un obstacle à la réalisation d’un portrait en gros plan. La représentation du caractère, la description du visage et de la silhouette ont-elles changé au fil des décennies ? Pas du tout. Elle doit toujours révéler le cœur de la personne, ce qui est également le plus grand défi de l’auteur.