Comment écrire une belle scène d’amour

La scène d’amour est l’une des scènes les plus difficiles à écrire correctement. Dans votre esprit, vous imaginez peut-être un passage émouvant et romantique. Mais sur le papier, vous trouvez que ça s’est transformé en mélodrame. Ça peut s’avérer désastreux pour votre roman, en particulier si l’intrigue est construite autour de cette scène et que celle-ci doit être remarquable pour porter l’histoire.

Ces derniers temps, j’ai lu beaucoup de romance aux scènes d’amour discutables. Trop de mots parasites, répétition de détails, et narration incohérente… (Il lui tient la main et à la phrase suivante il lui prend la main, par exemple.)

Les clichés sont un autre problème, et on ne voit qu’eux dans une scène d’amour. Des phrases comme « le goût salé de ses larmes », ou « elle a été surprise par la douceur de son baiser », ou « je pense à toi jour et nuit » peuvent gâcher un moment de tendresse par leur manque d’originalité.

Le male gaze est un autre problème courant. Des phrases du genre « il y avait encore tant de choses pures et innocentes en elle » risquent de faire lever des yeux au ciel, tout comme les descriptions trop sexualisées de l’héroïne.

Mais le plus grand défaut qu’on trouve couramment dans les scènes d’amour, c’est l’excès. Pour qu’une scène d’amour touche le lecteur, tout est question de retenue (dans le dialogue, dans la description et dans les actions des personnages).

Leçon victorienne

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi les romans victoriens sont si populaires ? Nous vivons à une époque de rencontres et de sexfriends, où la romance et le sexe sont simples comme bonjour. Les Victoriens, en revanche, vivaient à une époque où la retenue était de mise. Le flirt, l’intrigue, la cour et la résistance faisaient partie intégrante du rituel de l’amour naissant. Il y avait de la tension et de l’intensité dans cette façon de faire la cour. Et c’est de ça que sont faits les grands romans.

Si vous suivez des cours d’écriture, votre professeur appelle cette tension « conflit ». Un roman intéressant est basé sur le conflit. Si une scène n’a pas de tension, elle endort le lecteur. Alors qu’une scène où deux forces s’opposent va le passionner. Il ne sait pas ce qui va se passer ni qui va gagner. Dans une scène d’amour, il y a évidemment de la tension entre deux personnages. Mais aussi entre l’amour ressenti et l’expression interdite ou impossible, entre ce que les personnages désirent et ce qu’ils peuvent avoir. La retenue et la tension sont la règle du jeu. Si vous rendez les choses trop faciles pour vos personnages, votre scène d’amour n’aura aucun effet.

Pour moi, un des meilleurs exemples de l’intensité de la retenue dans une histoire d’amour est le film Raison et Sentiments avec Emma Thompson et Hugh Grant. Elinor et Edward sont tellement déterminés à faire ce qui est juste, malgré ce que ça leur coûte personnellement, que chaque fois qu’ils se rencontrent, leurs paroles sont chargées de sous-entendus et d’intensité. La plus grande intensité est dans ce qu’ils ne disent pas, dans ce qu’ils retiennent. À la fin, lorsque Edward est libre de parler de son amour, Elinor éclate en sanglots incontrôlables.

C’est un moment émouvant, non pas à cause de ce qui est dit, mais à cause de tous les sentiments qui n’ont pas été dits, que les personnages et le public éprouvent et qui se sont développés tout au long du récit. Il n’y a rien de désinvolte dans l’amour victorien ou édouardien, rien de facile ni d’acquis. Et c’est cette intensité, née de la retenue, qui donne une histoire d’amour puissante (et l’enchaînement de scènes bien ficelées).

Les secrets d’une écriture toute en retenue (romantique)

Alors, comment écrire une histoire ou une scène d’amour qui renferme les secrets de cette retenue propre aux auteurs victoriens, avec personnages de notre époque ?

Trouvez des raisons crédibles pour que vos personnages tombent amoureux

Certaines histoires d’amour sont ratées parce que l’auteur s’attend à ce que nous comprenions automatiquement pourquoi deux personnages s’intéressent l’un à l’autre. Bien sûr, nous savons que l’attirance sexuelle en fait partie. Mais pour qu’une relation nous touche, l’attirance des personnages doit reposer sur des raisons crédibles (quelque chose de plus intemporel et de plus tendre que le simple instinct animal). Pensez-y avant de commencer à écrire. L’origine de leurs sentiments doit être claire et crédible. Si ce n’est pas le cas, la base de l’histoire d’amour est fragile et les lecteurs ne parviennent pas à entrer dans l’histoire. Pensez à vos romans d’amour préférés. Qu’est-ce qui fait que les deux personnages commencent à se plaire ? Comment s’exprime leur retenue, quels obstacles doivent-ils surmonter sur le chemin de l’amour avec un grand A ?

Donnez aux personnages l’occasion de discuter ensemble d’autre chose que d’eux-mêmes

Une façon d’éviter l’écueil des dialogues mièvres est de donner à vos amoureux un sujet de discussion important, un problème sans rapport avec leur relation qu’ils doivent résoudre. Dans Raison et Sentiments , ça se produit lorsque Edward est déshérité par sa mère. Quelqu’un charge Elinor d’annoncer une bonne nouvelle à Edward. Les deux amoureux, qui s’évitaient, sont donc obligés de se parler. La rencontre est chargée d’une émotion et d’une tension romantique intenses.

Limitez le dialogue (l’intensité est dans les non-dits)

Dans la vraie vie, les gens disent rarement ce qu’ils ressentent exactement, surtout quand ils se sentent vulnérables. Ils peuvent masquer leurs émotions, parler de manière peu sincère ou détournée. Votre histoire devrait refléter ce comportement humain. Vos scènes d’amour devraient ressembler à des parties de cache-cache. À l’apogée, les véritables sentiments sont dévoilés, mais même à cet instant, l’intensité est davantage dans leur retenue que dans leurs mots. Les sentiments les plus profonds ne peuvent jamais être complètement exprimés par des mots. Tenter de tout exprimer dévalorise le caractère sacré (la profondeur) de l’émotion. Le principe « less is more » s’applique aux scènes d’amour peut-être plus qu’à n’importe quelle autre scène. Faites preuve de retenue dans les propos de vos amoureux, ou vous risquez d’écrire des dialogues larmoyants.

N’exagérez pas les descriptions

Souvent, quand on débute, on est tellement déterminés à communiquer la passion de nos scènes d’amour qu’on les truffe de descriptions excessives, généralement sous la forme d’un trop grand nombre d’adjectifs et d’adverbes. Si vous en faites des tonnes dans la description, vous perdez toute retenue et l’écriture devient un peu mièvre. Vos personnages doivent faire preuve de retenue dans leurs dialogues, mais vous aussi, en tant que narrateur, vous devez faire preuve de retenue dans vos descriptions. Faites en sorte que le sens de la scène soit porté par ce qu’on sait des personnages, de leur situation et de leur passé, plutôt que par un usage excessif de description. Dans la vraie vie, trop de mots gâchent les moments les plus importants, c’est pareil dans la fiction.

Autorisez-vous une envolée cosmique

Les scènes d’amour intègrent souvent un élément cosmique, qui donne au personnage un sentiment de connexion avec l’univers. Dans les moments les plus exaltants de la vie, les gens disent souvent qu’ils se sentent unis à quelque chose de plus grand qu’eux. Pensez à incorporer cette sorte de conscience cosmique dans ce que ressent votre personnage.

Retardez le baiser

La romance commence au moment de l’attirance et se termine quand les sentiments se concrétisent. Plus vous faites durer ce laps de temps, plus votre scène ou votre histoire devient romantique. Dans la vraie vie, le sexe sans suffisamment de préliminaires déçoit. Dans la fiction, c’est pareil, une scène d’amour déçoit si elle rapproche les personnages sans suffisamment de romance avant leur union. Donnez à vos personnages une raison crédible de tomber amoureux, et construisez lentement leur relation jusqu’à ce baiser tant attendu. Retardez le moment où les sentiments se concrétisent pour lui donner toute sa profondeur.

Le poète John Keats a écrit un célèbre poème sur une urne grecque qui représentait deux amoureux au moment où ils s’embrassent. Leur bonheur ne sera jamais atteint, écrit-il, mais leur amour existera à travers les âges, leur désir étant préservé à jamais dans cette œuvre d’art. C’est ça, l’esprit de la romance. Retardez le sexe. Retardez le baiser.

Si vous avez écrit une scène d’amour qui ne fonctionne pas, revenez en arrière et relisez-la en gardant ces points à l’esprit. Faites des essais pour voir ce que ça donne en les appliquant. Si vous aimez le résultat, intégrez-le dans votre histoire.

Et un dernier conseil : pensez aux romans que vous avez lus, ceux dont les scènes d’amour sont mémorables. Relisez ces passages. Y retrouvez-vous ces principes ? Remarquez-vous d’autres éléments qui contribuent à la réussite de ces scènes ? Prenez des notes, appliquez-les à votre travail, et vous serez sur la bonne voie pour créer des relations amoureuses qui toucheront vos lecteurs.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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2 commentaires

  1. Je viens enfin de lire tout ce que j’essayais depuis longtemps d’exprimer sur la scène d’amour. Bien avant le désir d’écrire déjà je jugeais assez durement les films à la romance facile, plate et extrêmement prévisible, et j’expliquais préférer les amours impossibles qui eux même n’étaient pas exempts de grands clichés.. je recherchais je pense en eux cette retenue et cette profondeur, et on remarque justement que les fameux ships des séries naissent de ce retard constant à la concrétisation des sentiments des personnages ce qui accroche le spectateur. Mais le hic c’est de réaliser cela soit même; comment communiquer avec adresse le non dit au lecteur sans que cela ne tombe dans les regards éperdus, dans l’évitement constant ou la description répétée de la souffrance du conflit, qui dévoile également la chose.. et cela en évitant d’être au contraire trop vague et donner l’impression que les sentiments une fois dévoilés sortent de nulle part ? Mais j’ajoute que je m’inspire plus de certains films que de livres, d’où peut être ma difficulté à mettre en mots les scènes… En tout cas merci pour l’article !

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