On entre de suite dans le vif du sujet avec une affirmation qui va peut-être susciter une levée de boucliers : le syndrome de la page blanche, ça n’existe pas.
Ce n’est pas un concept qui a toujours existé. En fait, il apparaît au début du XIXe siècle quand le poète anglais Samuel Taylor Coleridge décrit pour la première fois sa « terreur indéfinie et indescriptible » à l’idée d’être incapable de produire une œuvre digne de son talent. Les poètes romantiques anglais de l’époque pensaient que leurs poèmes arrivaient comme par magie d’une source extérieure. Et donc quand leurs plumes s’asséchaient et que les mots ne coulaient pas à flots, ils supposaient que les esprits, les dieux et/ou leurs muses ne se montraient tout simplement pas bienveillants.
Les auteurs français se sont rapidement approprié l’idée d’une souffrance liée à l’écriture. Ils l’ont répandue au point de créer le mythe de l’écrivain à l’âme torturée, incapable d’écrire sans douleur. Plus tard, l’anxiété qui accompagne souvent l’écriture est mise sur le compte (ou assimilée à) de la névrose, de la dépression, de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Les écrivains souffrent pour leur art, et particulièrement quand il laissent leur santé mentale contrarier leurs facultés à écrire.
La vérité, c’est que l’incertitude, l’expérimentation et la volonté de créer une œuvre à partir des profondeurs de son être sont le propre de l’écriture. L’écriture est une activité cognitive plus intense et exigeante que de nombreuses autres activités.
Il y a des gens qui n’aiment pas réfléchir et qui vont préférer un métier où ils n’auront pas besoin de trop se triturer les méninges. Mais l’auteur, lui, doit réfléchir. Il doit penser à maîtriser son écriture, mais aussi à créer des œuvres pourvues de sens, d’un objectif et d’une certaine esthétique puis les (auto)publier et les vendre. C’est mal connaître le métier de penser que tout va se dérouler sans problème (en particulier à mi-chemin).
L’écriture n’est pas un long fleuve tranquille. Écrire des romans, des scénarios ou des pièces de théâtre, ce ne sera pas facile. Vous vous heurterez souvent à un mur. Ne l’appelez pas « syndrome de la page blanche ». Désignez-le plutôt par ce dont il s’agit réellement : ne pas être prêt à passer à l’étape suivante.
Même les meilleurs auteurs, même les plus prolifiques peuvent ressentir cet essoufflement et ce découragement. C’est un moment tout à fait normal et assez prévisible, mais il vaut mieux éviter que ça dure. Cet article va donc vous proposer quelques idées pour rompre le mauvais sort et vous remettre sur les rails. Mais nous commençons, bien sûr, par les raisons pour lesquelles un auteur peut décrocher.
1. Vous vous êtes égaré
Tous les auteurs finissent par s’égarer. Ils voient leurs histoires prendre des tournures imprévues ou font face à des surprises de taille (comme un personnage que vous n’attendiez pas, qui pointe son nez). Plutôt que de laisser cette situation saboter votre travail, prenez un jour ou deux pour repenser votre histoire (ou votre projet). Identifiez le problème, mais ne vous y attaquez pas directement. Si le problème vient d’un personnage, cherchez comment les auteurs que vous admirez ont résolu ce genre de problème. Si c’est le cadre qui pose problème, visitez l’endroit dont il est question ou un endroit similaire. Imprégnez-vous des éléments que vous pourrez ensuite intégrer dans votre histoire.
Si vous êtes dans une impasse, essayez de faire le contraire de ce que vous faites d’habitude. Vous êtes un architecte ? Donnez libre cours à votre imagination pendant une journée. Vous êtes un jardinier ? Passez une journée à dresser une liste de vos dix prochaines scènes. Vous donnez ainsi à votre cerveau un défi à relever. Ça tombe bien, car vos milliards de neurones aiment les défis et sont à la recherche de synapses à former.
Si vous avez des difficultés à identifier le problème, c’est que vous manquez peut-être de recul. Réfléchissez à la manière dont l’histoire fonctionne dans son ensemble. Félicitez-vous pour le chemin parcouru jusqu’ici, puis penchez-vous sur ce qui, selon vous, pourrait être un problème. Vous trouvez peut-être que votre personnage s’est transformé en une caricature ou que l’intrigue n’est pas assez solide. Si c’est le cas, relisez les cinquante pages précédentes et voyez si des modifications vous permettraient d’arriver au résultat souhaité. En général, vous avez déjà écrit de belles choses, il ne vous reste plus qu’à les faire ressortir.
2. Votre passion s’est émoussée
Ça arrive. Parce que l’écriture d’un roman nécessite une immersion (y penser, l’élaborer, en rêver, en être obsédé), votre cerveau peut être surmené ou tout simplement s’ennuyer. Ça ne veut pas dire que votre écriture est barbante, mais que vous avez tellement travaillé et retravaillé votre texte qu’il vous semble maintenant ennuyeux.
Un regard neuf aurait probablement un avis plus objectif, mais il n’est pas encore temps d’aller chercher une aide extérieure. Si vous demandez de l’aide maintenant, vous risquez d’être confronté à des avis infondés (personne ne s’est encore investi autant que vous à ce stade). Ça vous fera tout remettre en question, et éditer pendant la phase d’écriture peut étouffer la créativité. Attendez que la rédaction du premier jet soit terminée et d’en être à la phase d’édition, avant de remettre en question vos décisions créatives ou, pire encore, de pinailler.
Certains auteurs abandonnent leurs projets à ce stade, en expliquant avoir perdu la motivation nécessaire pour continuer. Ils mettent cet abandon sur le compte d’un mauvais choix de projet, de genre littéraire, de sujet, de personnages, etc. Et c’est peut-être le cas. Mais si s’ennuyer au bout d’un tiers du parcours devient une habitude, il est possible que le problème vienne plus de vous que de l’histoire, des personnages ou du sujet traité.
Le cerveau détecte les schémas répétitifs et y réagit. Veillez donc à ce que l’ennui ou l’abandon rapide de projets ne deviennent pas une habitude. Faites de votre mieux pour comprendre pourquoi vous calez et pour terminer ce que vous avez commencé. Vous formerez ainsi un sillon neuronal que votre cerveau empruntera allègrement lors de vos prochains projets.
Si vous êtes à sec et que vous craignez que ce soit parce que vous avez choisi le mauvais sujet, prenez un jour ou deux pour vous changer les idées. Avant de retourner à votre manuscrit, posez-vous ces trois questions pour faire le point :
- Qu’est-ce qui m’a poussé à écrire sur ce sujet au début ?
- Qu’est-ce qui m’a fait penser que ça valait la peine d’y consacrer un an de ma vie ?
- Quel est le message que je voulais faire passer ?
Si vos raisons d’écrire restent suffisamment importantes à vos yeux, ça fera sûrement des étincelles dans votre cerveau. Vous vous précipiterez alors certainement vers votre bureau pour coucher les mots sur le papier.
3. Vos attentes sont trop élevées
Certains auteurs débutants commettent l’erreur de viser trop haut. Ils s’attendent à la perfection alors qu’ils n’ont encore jamais écrit un roman en entier. À mon avis, le meilleur conseil que l’on puisse donner à un auteur inexpérimenté est d’écrire un premier jet le plus rapidement possible. Les bons livres ne sont pas écrits, mais réécrits, et réécrits et encore réécrits. Une fois que vous avez un premier jet, vous disposez d’une base solide sur laquelle vous pouvez construire. Tous les « problèmes » que vous aurez anticipés se résoudront alors d’eux-mêmes à mesure que vous travaillerez votre matière première.
Certains auteurs s’arrêtent à mi-chemin, car ils essaient d’écrire leur premier jet du mieux possible. Ils pensent que c’est ainsi que les vrais auteurs écrivent et/ou que perfectionner chaque chapitre les dispensera de réécrire. Dans les deux cas, en général, c’est faux. S’imposer de façon déraisonnable la perfection ne peut que provoquer de l’anxiété (et beaucoup de frustration).
Plus vous vous mettez la pression, plus votre niveau d’anxiété augmente. L’écriture devient alors un signal négatif, qui transmet un message directement à votre système limbique, déclenchant des réactions de lutte ou de fuite. Quand ça se produit, le système limbique cesse de transmettre des messages au cortex, qui est la partie impliquée dans la pensée consciente, l’imagination et la créativité. À la place, votre amygdale libère des hormones de stress, comme le cortisol et l’adrénaline, votre rythme cardiaque monte en flèche, vous ne vous sentez pas bien, et votre capacité à vous concentrer disparaît. Qui aime se retrouver dans ce genre de situation ? Pas étonnant que vous ayez un blocage au moment d’écrire.
Au lieu de viser la lune, autorisez-vous à écrire ce que vous voulez, sur n’importe quel sujet, sérieux, léger, fou… Parce qu’en accordant trop d’importance à la façon dont vous écrivez, vous rentrez difficilement dans le flow. Enfin, si votre petite voix intérieure s’en mêle (ça arrive souvent), dites-lui que son avis est très important pour vous (et il l’est !). Mais vous le lui demanderez plus tard, quand vous aurez quelque chose digne de son attention à lui montrer.
4. Vous êtes épuisé
Il est tout à fait possible que vous vous soyez simplement épuisé. Nous avons tous nos limites physiques, mentales, émotionnelles… Votre corps, votre cerveau ou vos émotions vont finir par se rebeller et insister pour avoir un temps d’arrêt, qui peut prendre la forme de ce qu’on appelle le syndrome de la page blanche.
Mais gardez ça en tête : vous n’êtes pas bloqué devant une page blanche, vous êtes juste épuisé. Accordez-vous quelques jours de vrai repos. Allongez-vous sur le canapé et regardez un film. Sortez vous promener. Aller dîner avec des amis. Partez en vacances dans un endroit reposant. Ne pensez pas à votre roman de la semaine. D’ailleurs, évitez toute grosse réflexion pendant une semaine. Une fois reposé, vous constaterez probablement que l’envie d’écrire est revenue plus forte que jamais.
Vous vous êtes déjà demandé pourquoi les idées semblent venir plus facilement lorsque vous avez cessé de vous concentrer et que vous êtes parti vous reposer, prendre une douche ou tondre la pelouse ? Quand vous êtes sur une tâche qui nécessite une grande concentration comme l’écriture, votre cerveau se concentre sur ce qu’il y a à accomplir, bloque les distractions et s’appuie sur les connexions neuronales existantes. Mais quand vous n’êtes plus concentré et que vous faites quelque chose qui ne nécessite pas une activité cognitive soutenue, votre cerveau est plus sensible aux distractions et « laisse entrer » un plus large éventail d’informations, ce qui peut vous amener à imaginer plus d’alternatives et à faire des interprétations plus variées (ce qui vous amène à penser hors du cadre et favorise l’effet eurêka).
5. Vous êtes trop distrait
Peu d’entre nous ont le luxe d’être à l’abri des distractions. La plupart d’entre nous ont un travail à côté de l’écriture, un ou une partenaire, des enfants et des responsabilités qui occupent une grande partie de l’espace de notre cerveau. Si votre productivité est au point mort ou si votre niveau de frustration atteint des sommets, c’est peut-être parce que vous avez trop de choses en tête. Quand ces distractions s’accumulent, il est souvent plus facile et plus productif d’arrêter d’écrire et de vous occuper de votre quotidien et de ce qui vous met la pression.
Sachez que, à moins que vous ne fassiez partie de ces oiseaux rares qui écrivent tous les jours quoi qu’il arrive, vous connaîtrez des périodes de votre vie où il vous sera impossible de respecter un planning d’écriture. On peut tomber malade, devoir cumuler deux emplois, avoir des enfants ou des parents qui ont besoin d’une attention particulière, et ainsi de suite. Si vous vous trouvez dans l’une de ces situations (avoir des enfants en bas âge compte), ne culpabilisez surtout pas. Parfois, il est simplement nécessaire de mettre l’écriture en pause. Il vaut mieux toutefois éviter de cesser toute activité pour ne pas perdre la main. Par exemple, au lieu d’écrire votre roman :
- Lisez des romans ou des œuvres similaires à ce que vous souhaitez écrire.
- Lisez des livres sur le cadre ou le contexte historique de votre roman.
- Tenez un journal où vous notez vos idées pour votre roman (et d’autres projets).
- Écrivez de courts textes, des poèmes ou faites des croquis en rapport avec votre roman.
- Si vous méditez, imaginez-vous en train d’écrire votre roman.
Au lieu de vous sentir comme un auteur raté, soyez patient et bienveillant envers vous-même jusqu’à ce que la situation évolue. Moins vous vous inquiéterez et serez négatif, plus vous serez susceptible de trouver un peu de temps. Et, comme vous avez eu la sagesse de garder votre projet en éveil dans un coin de votre cerveau, vous trouverez peut-être qu’il est plus facile d’écrire que vous ne l’imaginiez.