Au-delà du livre : le futur de la relation auteur/éditeur

J’ai publié il y a un mois une réflexion sur l’importance des auteurs pour les éditeurs. En voici la suite.


Jusqu’au début des années 2000, la seule façon viable d’exister pour 99% des auteurs souhaitant être publiés était d’être accepté par une maison d’édition. L’auto-édition, ce n’est pourtant pas nouveau, des auteurs (dont Walt Whitman) s’auto-publiaient déjà au XIXe siècle. Mais les chances d’obtenir de la crédibilité et du respect sans le sceau d’approbation d’un éditeur étaient proches de zéro. Jusqu’à ce que les livres entrent dans l’ère numérique. Il n’y a rien d’extraordinaire à « publier » quelque chose dans cette ère. Vous pouvez publier votre manuscrit en un clic. Ce qui est difficile, c’est d’obtenir de l’attention dans un monde de surplus cognitif. C’est pourquoi ceux qui obtiennent le respect aujourd’hui ne sont pas forcément ceux qui signent avec une maison d’édition. Ce sont surtout ceux qui gagnent l’attention des lecteurs.

La plupart des auteurs (avant de découvrir que la visibilité est le plus gros problème aujourd’hui) font d’abord face à la difficulté de choisir comment se publier. L’auteur doit-il chercher à signer avec une maison d’édition traditionnelle ? Doit-il tenter l’auto-édition ? Et si oui, uniquement en numérique ou en papier aussi ? Doit-il passer par une plateforme qui offre des services d’auto-édition ? Doit-il passer exclusivement par Amazon pour plus d’opportunités promotionnelles ? On pourrait écrire un livre sur toutes les options disponibles. Et quelques mois plus tard, il ne serait déjà plus d’actualité.

Quelques auteurs parviennent à trouver des opportunités dans le changement. Mais beaucoup se sentent paralysés, inquiets de faire le mauvais choix et de causer du tort à leurs carrières. De leur côté, les éditeurs doivent défendre leurs atouts auprès des auteurs (chose inconcevable il y a quelques années). Car de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la lenteur des éditeurs, la faible rémunération et de façon générale, un manquement envers les intérêts des auteurs.

Les auteurs sont généralement séparés en deux camps : ceux qui défendent l’édition traditionnelle et ceux qui défendent l’auto-édition. Mais il y a aussi des initiatives communes comme la Ligue des auteurs professionnels. Et c’est un avertissement pour quiconque doute du pouvoir des auteurs qui s’allient au sein du communauté en ligne. Les opinions et attitudes des auteurs dicteront en partie le futur de l’édition. Pendant plusieurs décennies, les auteurs ont ressenti de l’injustice et un manque de soutien de la part de leurs éditeurs. Oui, c’est un vieux cliché l’amour/désamour entre auteurs et éditeurs. Mais les premiers ont de bonnes raisons d’être insatisfaits et les éditeurs le savent.

Ce n’est pas nécessaire de détailler toutes les raisons pour lesquelles les auteurs sont mécontents ; n’importe qui sur Twitter a déjà vu un auteur se plaindre. Nous savons tous que la plupart des livres et des auteurs reçoivent un soutien et une attention limités. Et que pour beaucoup d’auteurs, ce n’est pas ce qu’ils attendaient de leur relation avec l’éditeur. Maintenant qu’il existe des alternatives et des voies d’édition financièrement plus avantageuses, les auteurs demandent des comptes aux éditeurs. Qu’avez-vous fait pour nous ces derniers temps ? Et trop souvent la réponse est la même. Pas grand-chose quand on regarde le taux de rémunération et le soutien marketing que nous offrons.

Les éditeurs devraient s’inquiéter et éviter les déclarations irresponsables dans la presse. Tous ceux qui ne voient pas là un problème qui prend de l’ampleur devraient réfléchir à :
1. le nombre d’auteurs qui se lancent en exclusivité sur Amazon ;
2. le nombre de plateformes d’auto-édition.

Beaucoup de petites structures pensent qu’elles peuvent concurrencer les gros groupes d’édition. Et ce n’est d’ailleurs pas difficile d’offrir un contrat mieux que ce que ces derniers proposent, en général. Si ces gros groupes admettent que les auteurs sont leurs plus grands atouts, que feront-ils pour les attirer et les garder dans le futur ? Ils ne font pour l’instant pas d’efforts sur la rémunération alors que ce serait un effort payant sur le long terme.

Heureusement pour eux, ils peuvent compter sur la satisfaction personnelle et la reconnaissance que cherchent la plupart des auteurs débutants. Certains auteurs disent aussi avoir besoin d’être guidés et de l’expertise des professionnels de l’industrie. Donc les gros éditeurs soulignent cette valeur qu’ils apportent à l’auteur (et ils ont raison de le faire). Mais une fois qu’un auteur prend l’avantage, gagne en crédibilité et construit une relation directe avec son lectorat (nécessaire à tous les auteurs)… À ce moment-là, quelle est l’utilité de l’éditeur pour l’auteur ?

J’ai déjà mentionné plus haut que se publier (l’acte en lui-même) n’a rien de difficile. En 2018, 82 313 livres ont fait l’objet d’un dépôt légal auprès de la BNF. En 2017, 328 965 ebooks étaient vendus en France et ce chiffre ne comprend pas les ebook d’auteurs indépendants. Le défi pour chaque auteur est donc de faire fonctionner durablement le bouche à oreille pour son livre et de se construire un réseau de personnes qu’il peut contacter pour demander de l’aide dans ses efforts marketing et promotionnels. Et il ne faut pas oublier que l’auteur doit aussi rester à la page, suivre les progrès numériques et technologiques (et les changements dans les réseaux sociaux). La visibilité de son livre dépend de sa réactivité face à ces évolutions.

Imaginons que les gros éditeurs aient à la fois l’expérience et l’expertise dans la gestion à grande échelle de ces problématiques. Qu’ils donnent aux auteurs plus d’informations et de possibilités. Jusqu’où les éditeurs accepteront-ils de donner aux auteurs (peu importe «l’importance» de l’auteur) les moyens de savoir comment promouvoir efficacement leurs livres ? Les auteurs disent recevoir un minimum de conseils qui se résument à ces phrases. Fais-toi un site web. Inscris-toi sur Twitter. Construis une relation avec ton lectorat. Lance ton blog. Des conseils que les auteurs jugent inutiles et frustrants. Car ils ont vu d’autres auteurs les suivre et échouer à vendre leurs livres, même publiés par une maison d’édition reconnue.

Si les maisons d’édition étaient honnêtes sur ce point, elle dirait aux auteurs : « Embauchez quelqu’un pour vous aider, nous ne le ferons pas. Investissez votre à-valoir dans l’embauche d’un expert en marketing. » Ça nous amène à un autre problème à résoudre pour les auteurs. Trouver une aide de confiance qui vaille l’investissement relève du coup de chance. Surtout quand les auteurs ignorent le prix que devrait coûter un service ou les résultats qu’il est en droit d’attendre.

À cause du besoin grandissant des auteurs pour développer leurs propres efforts marketing, on voit sortir de tous les côtés des gens qui proposent leurs services. Mais la plupart de ces gens n’ont aucune expérience dans l’industrie du livre et échoueraient à promouvoir leurs propres livres. Nous avons tous déjà croisé sur Twitter des experts en réseaux sociaux ou en SEO dont les connaissances ne vont pas plus loin que ce qu’on lit dans un livre pour les Nuls.

J’imagine un futur où l’éditeur est un vrai partenaire, qui cherche à valoriser ses auteurs. Et qui partage sans rechigner son savoir et ses informations dès qu’il les a en main. Les auteurs qui ont signé dans l’édition traditionnelle se plaignent régulièrement de l’opacité des chiffres, du manque de volonté de l’éditeur à donner ces fameux chiffres de ventes. Mais cet état d’esprit ne peut survivre dans un futur où chaque auteur attend de la transparence et des informations régulièrement mises à jour de son partenaire d’affaires. Sans oublier la confiance et le respect. On ne devrait pas dire aux auteurs qu’ils sont responsables de leurs marketing et promotions alors qu’on ne leur donne pas les outils nécessaires pour réussir dans cette tâche. Mais c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Les auteurs ont aujourd’hui suffisamment d’alternatives pour ne plus accepter cette situation demain.

Le partage d’informations par les éditeurs n’est que le premier pas. La formation (particulièrement celle des auteurs débutants), le réseautage continu et un suivi d’évolution de carrière pour les auteurs chevronnés doivent leur être offerts s’ils acceptent de signer des contrats qui les rémunèrent moins que s’ils s’étaient lancés en auto-édition. Pour la première fois, les éditeurs vont devoir faire un effort pour garder leurs auteurs en proposant plus que le trio édition-production-distribution. Quant aux auteurs, les problèmes qu’ils doivent (et peuvent) résoudre eux-mêmes, année après année, sont :
1. rester compétitifs, d’actualité et visibles dans un paysage numérique en évolution ;
2. avoir les bons outils pour rester efficaces et en contact avec les lecteurs ;
3. avoir un important réseau de contacts qui les aident à mieux marketer et promouvoir.

Toutes ces choses sont à la portée des maisons d’édition qui pourraient les offrir à l’auteur. Mais elles n’en font pas l’effort. Elles préfèrent se concentrer sur leurs propres problèmes dus, entre autres, aux changements numériques et tirer le maximum de ventes possibles de ce qu’elles contrôlent : l’impression et la diffusion. Elles ne pensent qu’à sauver leur peau. Mais j’aimerais suggérer que le meilleur moyen de sauver sa peau est de devenir une maison réputée et respectée aux yeux des auteurs pour être un partenaire actif, plein de ressources et sur le long terme. En donnant les moyens à chaque auteur de progresser, l’éditeur s’assure plus de ventes sur le long-terme. Voici 2 points-clés pour conduire cette stratégie.

Atteindre directement plus de lecteurs

Depuis des années, les éditeurs savent qu’ils doivent construire plus de relations directes avec les lecteurs plutôt que de se reposer sur les librairies et sites marchands. C’est parce qu’ils ne l’ont fait que l’industrie est limitée dans son marketing direct. Et c’est là que repose une grande partie du pouvoir d’Amazon. Les auteurs sont bien placés pour atteindre directement les lecteurs. Mais la plupart ignore son importance et la façon de transformer ce qui est aujourd’hui un contact en revenu demain. Les éditeurs savent, eux, et devraient assister les auteurs dans leur stratégie de marketing direct. Ce serait bénéfique pour l’ensemble de la maison.

Plus de présence en ligne significative

Un nombre surprenant d’auteurs ont des sites web peu efficaces et parfois même désastreux pour leur image. Que l’éditeur développe uniquement sa propre présence en ligne est un sacré gâchis. Les efforts devraient être concentrés sur la présence en ligne des auteurs où les lecteurs ont plus de chances de se retrouver et de s’engager sur le long terme. Si l’on rend les auteurs plus efficaces en ligne (pas juste sur leurs sites web mais aussi sur les réseaux sociaux et les sites marchands) avec le temps, il y aura plus de points de contact et d’opportunités pour atteindre les lecteurs.

La liste des bénéfices pourraient facilement doubler la taille de cet article. Et je n’ai même pas parlé de la communication entre auteurs. Mais il est évident que ça crée un effet boule de neige propice au partage du savoir-faire pour vendre plus de livres. Il y a plusieurs stratégies qui sont essentielles pour connaitre les bénéfices cités plus haut :

  1. L’idée d’un collectif d’auteurs (où les auteurs s’entraident en marketing et promotion) n’est pas quelque chose que les éditeurs devraient voir en dehors de leurs murs. C’est à eux de faciliter ces regroupements au sein de leurs maisons.
  2. Un programme de formation pour auteur est essentiel. Un mélange de cours pour débutants (livre blanc, webinaire, tutoriel, screencast, etc.) et d’événements ponctuels sur des sujets plus avancés. Aucun éditeur ne devrait s’imaginer qu’un auteur sait comment gérer le côté affaires de sa carrière. Les auteurs ont besoin d’être formés et devraient recevoir une formation en adéquation avec leurs besoins.
  3. Aucun éditeur ne prend son partenariat avec l’auteur au sérieux s’il n’a pas ne serait-ce qu’un petit département consacré au développement et à la communauté de l’auteur. Les formations et communautés en ligne ne se font pas sur la base du volontariat ou en dehors des heures de travail. Ça doit faire partie de la mission et de la stratégie de la maison d’édition.

Les idées suggérées ici ne sont qu’un début. Et si les maisons d’édition offraient des résidences d’auteur ? Et si elles organisaient des événements annuels pour rassembler leurs auteurs pour des formations en interne, pour la communication, pour des rencontres avec les lecteurs ?

Les maisons d’édition ne sont rien sans leurs auteurs. Elles doivent se distinguer. Pas forcément en étant la plus techniquement avancée ou la plus innovante dans la création de média ou dans la diffusion mais en étant un partenaire valorisant pour les auteurs.

L’auteur ne veut pas être seul dans ses efforts. Il veut un partenaire. Une communauté de personnes en qui il peut avoir confiance. Des ressources fiables et une formation continue. Le travail d’un auteur ne s’arrête jamais. Une carrière réussie, c’est toute une entreprise. C’est un engagement à vie. Si une maison d’édition investit dans son outil marketing le plus important, l’auteur, alors sa place sera assurée dans le futur qui nous attend.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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