Connaissez-vous votre persona d’auteur ?

Dans le passé, le théâtre romain antique a introduit la persona (ou masque). On dit qu’il s’agissait d’un moyen de protéger l’anonymat des citoyens-acteurs influents qui ne voulaient pas être vus sur scène.

En tant qu’auteurs, on ne sait pas toujours quelle part de nous-mêmes partager avec les lecteurs. Je pense qu’il est important de créer et d’entretenir une persona d’auteur, le visage public de notre travail. Quand on devient un auteur publié, qu’on obtient notre première interview en podcast, notre premier article invité sur un blog d’écriture réputé, notre première interview avec la presse, notre premier événement littéraire, quelque part sur ce chemin, on finit par se demander : qui suis-je ? Qui je veux être ? Que dire de moi et de mon écriture ?

C’est important de faire les bons choix. D’une part, si on ne révèle rien, on risque de limiter notre visibilité et notre succès. D’autre part, si on divulgue trop d’informations personnelles à trop d’endroits, on risque de semer la confusion dans l’esprit de notre public potentiel.

En d’autres termes, tout comme les aristocrates romains, vous avez le choix de ce que le public voit. Il ne s’agit pas d’un faux masque derrière lequel se cacher. C’est plutôt un sous-ensemble filtré du large éventail des qualités, bizarreries et goûts qui composent votre personne, et des caractéristiques de votre travail artistique.

Faire de notre mieux en matière d’écriture n’est pas notre seule mission. Pourquoi ? Parce que la plupart d’entre nous veulent des lecteurs. Et si c’est votre cas, vous gagnerez à réfléchir à la manière dont vous vous présentez aux autres. On est entourés d’autres auteurs qui veulent être lus, et de lecteurs avides de suggestions sur le prochain ouvrage à lire. On doit garder un œil sur le marché de nos publications. Comment ces nouveaux lecteurs sauront qui on est ? Comment va-t-on leur en dire assez sur nous-mêmes pour qu’ils aient envie d’en savoir plus ?

Connaissez-vous votre persona d’auteur ?

Pour commencer, votre persona d’auteur n’est pas aussi complète que votre personne. Votre persona est un peu comme un personnage que vous créez dans votre œuvre (de fiction ou non-fiction). Elle n’est pas aussi complète, ni aussi déroutante que vous l’êtes. C’est votre visage public, formé à partir d’aspects soigneusement choisis de votre identité globale. Comment la définir ?

Voici quelques éléments à prendre en considération :
  • À quoi votre lecteur s’identifie-t-il ? Quels sont les aspects de votre personnalité qui l’intéressent ?
  • Examinez vos publications et vos travaux en cours. Quels sont les traits et les récits à votre sujet qui correspondent à ces œuvres ?
  • À la lumière de votre travail, quel ton de voix, quel degré de formalité, quel jargon, quelles références à la culture populaire et quels choix vestimentaires adoptez-vous pour votre personne publique ?
  • Votre biographie indique-t-elle votre don pour incarner des personnages qui ne vous ressemblent pas du tout ? Ou préférez-vous que vos lecteurs ne sachent pas à quel point vous êtes différent de vos protagonistes ?
  • Préférez-vous les podcasts aux interviews vidéo ? (Même si la sagesse populaire souligne la supériorité de la vidéo en tant qu’outil de marketing et de publicité.) Avez-vous quelque chose à cacher, ou alors protégez-vous votre vie privée ?

Choisissez en fonction de l’image que vous souhaitez donner de vous (dans les bons jours, on s’entend). Votre personnalité publique n’est pas un miroir déformant de fête foraine. C’est vous qui vous montrez sous votre meilleur jour. Et c’est un membre de votre équipe, en quelque sorte. Comme le dit Steven Pressfield dans son essai Turning Pro, « Madonna ne s’identifie pas à « Madonna ». Madonna emploie « Madonna » ».

Votre persona vous aide à entretenir des relations suivies avec vos lecteurs. Vous êtes toujours vous, l’auteur qui a écrit ces histoires, ces livres et ces articles. Et en reconnaissant que vous êtes un créateur de contenu, vous finissez par admettre qu’il n’y a rien de dégradant dans ce processus de définition.

Créer son propre personnage d’auteur

En tant qu’auteurs, nous avons le choix de la quantité d’informations que nous partageons sur nous-mêmes. Un auteur introverti aura tendance à vouloir attirer l’attention ailleurs : Lisez mon livre ! Écoutez cette interview ! Ne me regardez pas de trop près. Une personne plus extravertie peut avoir d’autres préoccupations, telles que : Les photos de toutes les fêtes auxquelles j’ai participé sont déjà sur les réseaux sociaux ! Je me suis fait trop d’ennemis ! Mes opinions politiques risquent de réduire le nombre de mes lecteurs !

Ça aide, d’être précis. Une fois le degré de protection de votre vie privée fixé, réfléchissez aux détails qui méritent d’être partagés. Par exemple, votre biographie indique que vous aimez vous promener sur la plage ? Cool. Voici quelques questions complémentaires à vous poser.

Ajoutez-vous que vous vivez dans les montagnes et que vous allez à la plage une fois par an en Sardaigne ? Ou est-ce sur la côte atlantique ou au lac Léman ? Au lac de Côme avec votre pote George Clooney ? Ou encore Haïti où vous faites du bénévolat dans un orphelinat chaque année ? Souhaitez-vous que les gens connaissent ces détails ? Pourquoi ?

  • Si vous êtes en couple et que vous choisissez de ne pas rendre cette information publique, que devez-vous révéler dans votre biographie ? Et si vous êtes célibataire, que vous vivez seul et que vous ne voulez pas être harcelé par des personnes mal intentionnées ?
  • Êtes-vous timide et introverti ? Ou attirez-vous les gens dès que vous entrez dans une pièce ?
  • L’écriture vous vient-elle facilement ? Ou luttez-vous à chaque paragraphe ?
  • Écrivez-vous pour comprendre le monde, pour défendre une cause, pour explorer un chapitre malheureux de votre vie, pour faire don de vos bénéfices à ceux qui souffrent de la faim, pour faire avancer votre carrière dans le monde des affaires ?
  • Et votre photo ? Voulez-vous être souriant et ouvert ? À moitié caché par des ombres et un chapeau à long bord ? Si vous avez des problèmes médicaux qui vous ont fait prendre vingt kilos, voulez-vous une photo récente, ou une photo sans les bouffissures causées par vos médicaments ?

Questionnez votre entourage

Une technique traditionnelle pour construire votre image publique consiste à consulter les personnes qui vous connaissent et vous aiment, c’est-à-dire vos proches, vos amis et votre famille. Il peut s’agir simplement de leur demander quelques mots qui vous décrivent en tant qu’auteur ainsi que votre travail. À partir de ces listes, vous pouvez faire beaucoup pour créer l’état d’esprit, le ton et l’apparence de votre persona. Par exemple, si vous entendez des mots tels que « vif », « chic », « glamour », « spirituel » et « urbain », vous voudrez probablement que vos photos et les couvertures de vos livres représentent des ciels nocturnes, un style Art déco très contrasté et des robes de soirée, plutôt que des bottes en caoutchouc et des vaches dans un pâturage ensoleillé.

Que sait déjà votre lecteur ?

Si vous écrivez de la fiction, vous pouvez choisir de ne partager que les goûts, les aversions et les causes qui vont dans le sens de vos intrigues. Mais dans le cas des mémoires ? Si votre livre est tiré de l’histoire de votre vie, vous allez devoir choisir ce que vous êtes prêt à partager. Votre vie privée, votre famille, vos origines, votre scolarité… selon l’objet de vos mémoires, toutes ces facettes de votre histoire, et bien d’autres encore, peuvent devenir publiques. Si vous voulez que vos mémoires soient un succès, il vous faudra être à l’aise avec vos choix et les garder bien définis et cohérents.

Si vous êtes connu du grand public pour d’autres raisons que vos écrits (votre carrière, un parent célèbre, un fait divers, un prix…) vous ne pourrez pas effacer ces parties de votre vie. Faites des recherches sur votre nom (celui que vous portez, celui que vous avez porté) et intégrez le résultat de vos recherches dans votre persona. Vous n’avez pas besoin de tous les inclure, mais soyez cohérent avec ce que vous avez trouvé.

Généralement, une fois que des informations vous concernant se retrouvent sur Internet, il est difficile de les retirer. Google et les autres moteurs de recherche trouveront toute indiscrétion que vous aurez rendue publique. Même si vous regrettez de l’avoir fait.

Ce que vous présentez au public par le biais des réseaux sociaux, de votre signature électronique, votre photo, vos articles de blog, vos événements littéraires, votre matériel promotionnel, du dossier de presse sur votre site, de vos interviews (et dans chaque bio que vous placez sur chaque site littéraire)… vous avez le pouvoir de créer tout ça (si vous le faites vous-même) et de le mettre en valeur (si quelqu’un d’autre le fait pour vous). Par exemple, si une interview se passe très mal, vous pouvez choisir de ne pas l’inclure dans les liens que vous partagez sur votre site et sur les réseaux sociaux. Vous ne pouvez pas l’effacer, mais vous pouvez choisir de ne pas en parler.

Cultivez-vous votre persona ?

Si vous avez déjà une version opérationnelle de votre image publique, revisitez-la. Vérifiez s’il y a eu du changement récemment. Avez-vous gagné un prix, publié quelque chose de nouveau, donné une présentation, rejoint une organisation, participé à un panel, écrit sur une maladie récente ? Êtes-vous devenu parent ou avez-vous fait la une des journaux ? Avez-vous besoin d’une nouvelle photo de profil ? Votre persona sera visible en ligne, en personne et dans toutes vos communications : téléphone, vidéo, mail, lettre, etc.

L’entretien de votre image publique est une excellente distraction professionnelle quand vous n’écrivez pas. Il peut également s’agir d’un moyen efficace de changer vos habitudes. Si vous avez du mal à vous sentir connecté aux autres, ce travail vous rappelle votre rôle au sein de votre communauté. Si, au contraire, vous êtes submergé par la connectivité, il vous rappelle l’importance de définir et de maintenir votre identité en tant qu’auteur.

Une fois que vous avez défini votre persona, servez-vous-en et tenez-la à jour. Quelle que soit l’information que vous décidez de partager, faites-la passer par votre persona. Cette nouvelle information est-elle cohérente avec votre persona ? Renforce-t-elle l’impact que vous et votre travail avez sur le monde ? Protège-t-elle vos limites et celles de vos proches ? Ou est-il temps d’actualiser votre persona pour qu’elle corresponde aux changements récents dans votre vie et votre travail ?

Si vous souhaitez un jour que votre livre soit connu en dehors de votre entourage immédiat, vous êtes sans doute déjà conscient que vous devrez prendre en main votre marketing. C’est vrai même si vous avez un contrat avec un grand éditeur, et c’est essentiel si vous n’en avez pas.

Chaque fois que vous donnez une interview, que vous apparaissez dans un journal ou un blog, que votre site web est lié à celui d’un influenceur que vous admirez, vous construisez l’infrastructure dont vous aurez besoin pour le reste de votre carrière. Gardez à l’esprit vos objectifs. Ensuite, quand votre travail sera reconnu, vous serez dans l’ombre. Votre persona sera prête.

Pour toutes ces raisons, la façon dont vous vous présentez est importante. Et comme Internet n’oublie rien, il est judicieux de prendre ces décisions le plus tôt possible dans votre carrière. C’est ce que j’appelle devenir public, à dessein. Ça se fait petit à petit. Ce n’est pas non plus réservé aux célébrités.

Je ne suis pas connue. Il est donc présomptueux de ma part de donner des conseils sur la façon de se lancer en public, non ? Si j’étais mondialement connue, je serais peut-être crédible sur ce point, mais pour l’instant, pas vraiment. C’est ce que je me suis dit. Puis j’ai vu les choses autrement et j’ai réalisé que j’avais commencé à façonner ma persona depuis un certain temps. On gagne tous à cultiver et à soigner sa persona en tant qu’auteur. Ça vaut pour ceux qui débutent, ceux qui sont à mi-chemin ou ceux qui sont déjà bien connus du public. Vous êtes le gardien de votre identité d’auteur. Prenez vos responsabilités à cœur et vous aurez plaisir à enrichir cette identité au fur et à mesure que vous construirez votre carrière et votre vie artistique.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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