J’ai eu la chance de croiser Gérard Siary à l’université Paul Valéry de Montpellier où il enseignait la littérature générale et comparée. Spécialisé dans les récits de voyage et l’histoire des idées, il s’intéresse tout particulièrement au Japon. Il a traduit de grands noms de la littérature japonaise, comme Yoshida Shūichi (Parade, Le Mauvais) et Ihara Saikaku (L’Homme qui ne vécut que pour aimer).
Il a également rédigé des ouvrages critiques, dont un commentaire sur Le Pavillon d’Or de Yukio Mishima pour Gallimard et de nombreux essais sur les rapports étroits existant entre les pays occidentaux et l’archipel nippon. Dans son dernier ouvrage, Histoire du Japon : des origines à nos jours, il fait la part belle à l’histoire sociale et politique du Japon.
Vous avez été pensionnaire à la Maison franco-japonaise de décembre 1984 à mars 1987. Qu’est-ce qui vous a amené au Japon et qu’y avez-vous étudié ?
Un sujet de thèse d’État qui portait sur les voyageurs européens au Japon (1853-1912) et nécessitait plus ou moins un séjour dans le pays pour le connaître de l’intérieur, apprendre la langue et dépouiller les sources et écrire le travail universitaire. Le choix du Japon comme sujet de thèse est consécutif à une romance amoureuse avec une Japonaise et le désir de découvrir son pays, sans doute aussi d’échapper à une carrière d’enseignant de collège ou de lycée en France, ainsi qu’au cocon familial étouffant. Phénomène classique de fuite en avant…
En 1988, vous êtes de retour en France pour soutenir votre thèse Les voyageurs européens au Japon de 1853 à 1905. Qu’avez-vous fait par la suite ?
Une carrière universitaire classique : maître de conférences, professeur des universités. Une carrière où j’ai fait corps avec mon métier de spécialiste de littérature comparée et de littérature viatique au sens où comparer et voyager sont devenus une seule et même activité. Voyager aide à comparer et à formuler les questions au regard des différences qu’on perçoit. C’est devenu un réflexe de travail et de métier. La traduction relève de la même pratique.
Vous êtes auteur mais aussi traducteur. Vous avez traduit de nombreux romans japonais parus aux éditions Picquier. Que pensez-vous de l’«affaire Amanda Gorman » ?
C’est d’ordinaire la maison d’édition qui commandite le traducteur et décide à qui confier le travail. Sauf disposition légale, ce n’est pas parce que l’auteur d’un texte est noir ou de quelque couleur de peau que ce soit que le traducteur dudit texte doit avoir la même couleur de peau. Sauf déterminisme biologique, l’origine ethnique n’infléchit pas la qualité du texte traduit. Cette histoire participe d’un procès intenté au nouveau bouc émissaire : le blanc, et ce sous couvert de revendication raciale.
Il ne s’agit pas bien sûr de nier la rémanence d’une souffrance séculaire imputable au groupe blanc, ni de contester l’existence du racisme systémique à l’oeuvre dans nos sociétés, mais traduire est un métier qui consiste à approcher au plus près de la sensibilité d’un auteur dans un texte donné, et ledit texte est incolore. Il suffirait d’ailleurs de faire traduire un même texte par des sujets de couleur et d’ethnie différentes et de demander d’identifier lequel est traduit par un noir, un jaune ou un rose, pour s’apercevoir que la chose est impossible à dire. L’affaire Amanda Gorman, en ce sens, relève d’un contentieux sur la propriété de l’héritage culturel et du droit de traduire.
Juste un point. Je suis auteur au sens basique du terme, car je produis des textes. Mais je ne suis pas écrivain et ne revendique d’autre compétence que celle de professeur de littérature générale et comparée. Ceci dit, car nombre de collègues ajoutent à leur spécialité une autre compétence (écrivain, philosophe, historien…) dont la lecture de leur texte invite à douter qu’ils l’aient. Je ne suis pas historien. Je ne suis pas traducteur au sens où j’ai le plus souvent traduit des textes accompagnés d’un appareil de notes qui constituaient un travail académique et n’ai jamais conçu cela autrement.
Pour rester dans l’actualité, vous avez écrit en 2012 L’idée de race. Que vous inspire le mouvement woke en France ?
La notion n’est pas si claire en France. Elle participe d’un souci de justice et de la mauvaise conscience ambiante. La France est un pays raciste, mais moins qu’ailleurs en Europe, et moins qu’aux États-Unis, d’où vient cette sensibilité culpabilisante. Tout cela s’inscrit dans la tendance récente à la victimisation. Ce qu’ont fait les ancêtres ne doit pas peser sur les nouvelles générations qui, sauf à considérer le phénomène du point de vue du karma bouddhique, n’y sont pour rien. Il faut trouver un moratoire. Il faut, pour nous autres Européens, nous laver de la mauvaise conscience étasunienne.
Qu’est-ce qui vous a amené à traduire l’Histoire de l’Angola de David Birmingham en 2019 ?
Conjonction de deux faits : le programme d’agrégation de lettres modernes portait sur le roman d’un auteur portugais, Le cul de Judas d’Antonio Lobo Antunes, qui relatait le service militaire en Angola du futur romancier ; l’éditeur Chandeigne envisageait de traduire Histoire de l’Angola. Il a suffi de lui demander de faire la traduction pour que cela advienne. Et le livre a reçu le prix de l’Académie des Sciences d’Outremer.
Votre dernier livre, Histoire du Japon : des origines à nos jours, est sorti en 2020 aux éditions Tallandier. Comment est né ce projet et combien de temps s’est écoulé avant qu’il se retrouve en librairie ?
Ce livre devait être écrit à deux mains à l’origine : par un auteur historien de formation ; par un spécialiste de littérature (moi). Voyant que le co-auteur ne faisait rien pour faire avancer le projet, j’ai fait refaire le contrat pour écrire le livre tout seul. Le travail de documentation a pris dans les trois ou quatre ans ; l’écriture proprement dite, une année à peu près.
Et pour finir, avez-vous d’autres projets ?
Oui, un livre sur les kamikazés japonais de la guerre du Pacifique. Et beaucoup de voyages quand finira cette pandémie qui a bouleversé les projets de vie de tant de personnes.