En début d’année, j’ai regardé No Country for Old Men pour la première fois. Deux amis m’ont dit qu’ils seraient intéressés par mon opinion sur la fin du film. Ils n’étaient pas d’accord, non pas sur ce qui s’était passé ou ce que ça signifiait, mais simplement sur cette question : est-ce une façon juste de terminer une histoire ? Ça m’a fait réfléchir au genre de fins que j’aime dans mes livres préférés, et à celles que j’aspire à écrire.
Au cas où vous ne connaîtriez pas la fin de No Country for Old Men, le point culminant vers lequel l’histoire semble se diriger n’a tout simplement pas lieu.
À la fin du film, alors que Chigurh s’éloigne en boitant de cet accident de voiture et que le shérif Bell, assis à la table de sa salle à manger, raconte à sa femme le rêve qu’il vient de faire, j’étais déçue. J’avais été à fond dans le film et j’avais l’impression de rester sur ma faim. Deux heures plus tard, je trouvais la fin géniale.
La fin est dérangeante parce que ce n’est pas comme ça qu’on a l’habitude de voir les histoires se terminer. On est suffisamment familiers avec le fusil de Tchekhov pour sentir très profondément cette absence de résolution quand l’histoire se termine et que le fusil est toujours accroché au mur, intact. Ça peut être décevant. On peut avoir l’impression d’avoir été trahis.
Les histoires soulèvent des questions. Que se passe-t-il ici ? Est-ce qu’ils vont s’en sortir ? Qui cette arme va-t-elle toucher ? Et parfois, les fins sont conçues pour satisfaire le public. Elles répondent aux questions posées en cours de route par un dénouement qui ne vous laisse pas sur votre faim. Des fins qui vous permettent de partir aussi facilement que vous êtes entré. Mais que faire si la fin n’est pas conçue pour donner satisfaction ? Et si…
- elle essayait de faire autre chose ?
- l’histoire ne veut pas vous laisser partir tranquillement ?
- le but était de vous laisser sur votre faim ?
Le Procès de Kafka aurait-il été un meilleur roman si, dans le dernier chapitre, nous avions appris de quoi Josef K. est accusé ? Je ne le pense pas. Si l’intérêt du Procès est que nous ne savons pas de quoi Josef K. est accusé, alors soyons prêts à ne pas le savoir. Si la question est le point central, quelle est la valeur d’une réponse ? Et si, au cours de l’histoire, la question que le roman pose est discrètement mise de côté et remplacée par une autre ? Et si la question « Que se passe-t-il ? » était remplacée par « Que pensez-vous de tout ça ? » C’est une question plus intéressante, n’est-ce pas ? C’est l’ambiguïté qui permet l’introspection. Les histoires sont meilleures quand elles soulèvent des questions, mais ce n’est pas toujours réussi quand elles prétendent y répondre.
No Country for Old Men s’ouvre en posant une question et se ferme en répondant à une autre. Et quelque part entre ces deux moments se trouve l’espace pour que nous trouvions quelque chose qui n’appartient qu’à nous.
Ce qu’il faut voir, c’est si l’intrigue principale est close ou non et si elle remplie les promesses faites (au-delà du fusil). Il peut y avoir des questions qui restent sans réponse, mais pour autant, on ne peut pas faire n’importe quoi.
Le travers associé aux questions sans réponse, c’est souvent l’écrivain ou le scénariste qui a mal préparé la fin de son récit et qui va botter en touche en laissant planer le mystère, tout simplement parce qu’il ne sait pas comment finir proprement ou expliquer certaines « facilités » narratives. Dans ce cas, c’est juste horripilant, on se sent floué d’avoir passé tant de temps à découvrir l’œuvre pour juste « ça ».
J’ai vu deux films dernièrement avec ce problème :
– Petite Fleur (film génial, sauf la fin. A priori adapté d’un livre) où le héros passe son temps à tuer un personnage qui réapparait pourtant chaque jour. Dès les premières minutes, on nous promet de nous expliquer pourquoi il est en mode phénix, et dans les dernières minutes du film, le personnage immortel nous sort une tirade du style « Tu voudrais comprendre ? Tu sais mon ami, ce qui compte, c’est le voyage pas la destination. C’est comme ça, c’est comme ça ».
-« C’est magnifique », un film où le héros passe une heure et demi à chercher qui sont ses vrais parents. Dernier quart d’heure du film, le mec a la pris de conscience de sa vie : « l’important, ça n’est pas d’où je viens, mais là où je vais. »
x) J’avais envie de gueuler après l’écran.
(Je ne me souviens plus du film des frères Coen, mais je crois que j’étais resté quand même en mode frustré., avec le sentiment que ce n’était pas le meilleur truc qu’ils avaient pondu..)
Tes commentaires sur les deux films m’ont bien fait rigoler 😂 C’est vrai que c’est terriblement frustrant, ce genre de fin !