En décembre dernier, j’ai eu un contact avec une maison d’édition concernant Le Jardin secret de Marie. Ça m’a amenée à une longue réflexion sur la relation entre auteurs et éditeurs.
Je me suis dit que les maisons d’édition traditionnelles devraient plus concentrer leurs efforts sur leurs auteurs. Leur offrir les outils, la communauté et la pédagogie nécessaires pour connaître plus de succès. Ça rendrait tout le monde gagnant. Si les maisons d’édition sont incapables de cet effort alors les auteurs, qui ont toujours plus d’options d'(auto)édition vont finir par aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs.
Les plateformes d’auto-édition voient l’auteur comme un client et le traitent avec égard. Mais les maisons d’édition, elles, n’ont pas ce genre de relation avec leurs auteurs. Elles ne les voient pas comme une communauté qu’il faut soutenir. Je pense que les maisons d’édition devraient avoir une personne dédiée au service auteur (à l’image du service client). Elles devraient se montrer plus stratégiques dans leurs services aux auteurs sur le long terme. Il faudrait prendre en compte l’auteur plutôt que le livre qui vient de sortir.
Les auteurs qui revendiquent actuellement un vrai changement dans l’industrie du livre seront certainement d’accord avec moi. Les maisons d’édition, en revanche, rigoleraient bien si elles lisaient ça. Voici pourquoi.
1. Ce que les maisons d’édition ont de mieux à offrir aux auteurs c’est la prise en charge du risque financier inhérent à la publication du livre.
Si vous signez un contrat avec une grosse maison d’édition, vous recevrez une avance sur vos futurs droits d’auteur (l’à-valoir). Mais j’imagine que tous les auteurs ne touchent pas de royalties. Ils ne vendent pas suffisamment de livres pour ça. Ça veut dire que les maisons d’édition paient les auteurs plus que ce qu’ils sont capables de vendre. Mais attention, le montant des à-valoir a tendance à baisser.
En général, les maisons d’édition font en sorte que les auteurs puissent se concentrer sur leur travail sans trop se soucier du côté commercial. Même si les auteurs n’ont pas de revenus décents, ils préfèrent tout de même travailler avec les maisons d’édition. Pour ne pas supporter seuls les risques. Certains vont dire que l’édition et la distribution numériques ont grandement réduit le risque financier des travaux créatifs (voire les ont réduit à zéro). Reste le coût de renoncement. L’auteur ne fait rien d’autre. Il ne passe pas du temps avec ceux qu’il aime, il ne travaille pas à côté, il ne gagne pas de nouvelles compétences, etc. Je crois donc qu’il est raisonnable de penser que beaucoup d’auteurs aimeraient être moins exposés au risque.
Il y aura toujours quelqu’un pour dire qu’Amazon KDP (ou autre plateforme d’auto-édition) n’offre rien aux auteurs tout en se servant largement sur les ventes. Certes, Amazon ne lève pas le petit doigt pour les auteurs KDP, pour la qualité des livres, pour le marketing et la promotion de ces mêmes livres. Amazon ne fait pas ce que fait l’édition traditionnelle. Amazon ne prend aucun risque mais prend sa part du gâteau alors que l’auteur est exposé à 100%. Tous les auteurs KDP peuvent échouer mais Amazon, lui, ne perd rien sans avoir rien offert. Amazon est toujours gagnant.
Évidemment, ce rien offert par Amazon est très attractif pour les auteurs qui ont essuyé des refus de la part des maisons d’édition. Ce rien donne aux auteurs l’opportunité de se trouver aux côtés des grands dans l’univers du plus grand site marchand. Ce rien apporte un revenu aux auteurs. Cinq ou dix ans plus tôt, il était quasiment impossible pour eux d’espérer quelque chose de l’édition numérique ou de l’auto-édition. (Sans compter que ce rien peut s’avérer bien mieux que ce qu’une maison d’édition traditionnelle a à offrir. Mais je vous laisse discuter de ça en commentaire.)
Certes, seul un petit pourcentage d’auteurs fera quelque chose du rien d’Amazon. Des milliers d’autres resteront dans l’ombre. Mais ça reste une opportunité pour tous ceux qui en ont le cran et la détermination. Qu’est-ce que ça peut bien faire si la plupart échoue, s’ils sont heureux d’avoir la liberté d’essayer ? (Et qui choisit ce qu’est l’échec et la réussite ?)
Certains diront que laisser n’importe qui publier des livres de mauvaise qualité (aussi appelés « torchons ») n’est bon pour personne. Cet argument peut paraître élitiste (qui peut se permettre de dire qu’un livre est un torchon ?) à moins de démontrer que ces nouvelles opportunités sont nocives pour les auteurs sur le long terme. Et de le dire d’une façon que les auteurs comprendraient et accepteraient. C’est peut-être possible mais je digresse et ça sera peut-être l’objet d’un autre article.
2. Les auteurs n’aiment pas consacrer du temps au marketing, la promotion et la construction de plateforme.
Beaucoup d’auteurs préféreraient être mieux payés par leurs maisons d’édition (et utiliser cet argent pour payer quelqu’un qui s’occuperait du marketing à leur place si besoin) plutôt que d’avoir des outils et une communauté pour soutenir leur travail. Personnellement, je pense que c’est un mauvais calcul. Ça rend l’auteur plus dépendant qu’il ne le faudrait de la maison d’édition. Mais il y a là tout un débat. Les auteurs ont les compétences pour produire de formidables écrits mais font de piètres hommes d’affaires. Et j’ai beau essayer de changer l’état d’esprit et l’approche des auteurs, leur idée de ce que signifie être entreprenant et valoriser le côté affaires, je sais bien que les gens réussissent mieux quand ils peuvent se concentrer sur leurs points forts et passer moins de temps sur le reste.
De même, si vous pensez que le gouvernement doit financer l’art et subventionner les artistes (en partie parce que l’art ne peut pas et ne devrait pas être dirigé comme un business et qu’il mérite une aide sociale parce que sa valeur et son pouvoir est d’utilité publique) alors vous êtes certainement d’accord avec l’idée qu’un auteur doit être soutenu par son éditeur et ne doit s’occuper de rien d’autre. Les soucis de tous les jours distraient l’auteur. Bien écrire demande de la concentration et beaucoup de temps (sans interruptions, ça va de soi).
Enfin, quand un éditeur s’engage dans un projet, il peut en général apporter plus de compétences, de forces et de ressources qu’un auteur qui travaille seul. (C’est certainement à débattre et ça dépend fortement de l’auteur.)
3. Les grosses maisons d’édition n’auront jamais la motivation de faire plus que ce qu’elles font déjà pour les auteurs.
Il n’y a qu’un idéaliste indécrottable pour croire qu’une grosse maison d’édition va déployer d’énormes ressources dans sa relation avec l’auteur. Lui apporter tout le soutien nécessaire. Tant que l’éditeur peut offrir un contrat raisonnable, l’accord dont rêve l’auteur, une qualité éditoriale irréprochable… Ce sera certainement suffisant pour que l’auteur n’aille pas voir ailleurs s’il n’a pas l’esprit entrepreneur.
On peut résumer ça au graal que l’édition a à offrir :
1. L’argent
2. Le service
3. Le statut
Les éditeurs peuvent mieux faire pour le premier (l’argent) quand on sait que le taux de rémunération moyen est de seulement 7,2%. On est loin des 10% attendus. Ils doivent également prouver qu’ils fournissent le second (service). Tout cet article repose sur la théorie que les auteurs peuvent se tourner vers des alternatives plus payantes (et dans certains cas avec plus de services) puisqu’ils sont nombreux à être insatisfaits des services grandes maisons d’édition (l’édition, le marketing, la promotion).
Et enfin le statut. Je vante régulièrement les vertus des outils et de la technologie. Ils renforcent les pouvoirs de l’auteur, lui donnent un meilleur aperçu de son lectorat (et le pouvoir de l’agrandir, de le mobiliser) et démocratisent le paysage de l’édition. Mais on ne peut pas ignorer la nature humaine qui nous pousse à chercher la reconnaissance. À nous inquiéter du statut quand nous n’avons pas l’approbation de l’édition traditionnelle. (C’est là qu’entre en jeu l’argument de l’auto-édition selon lequel c’est le lecteur qui décide de ce qui est bon plutôt que l’éditeur. C’est bien sûr un argument très commode et nécessaire pour l’auteur qui n’a pas l’approbation de l’édition traditionnelle.)
Plein d’auteurs connaissent le succès et sont suivis par les lecteurs sans avoir pour autant l’approbation de l’édition traditionnelle. Mais beaucoup sont sensibles aux honneurs et prestiges d’être accepté par une maison d’édition, d’être nommé à un prix… Choisissez le statut symbolique que vous préférez. Et même si leur livre connaît un échec commercial total, pouvoir se vanter d’être publié chez Albin Michel, Grasset ou Gallimard est une victoire en soi et peut ouvrir d’autres portes.
Les auteurs les plus futés (ceux qui sont avant tout intéressés par le succès de leur carrière sur le long terme et qui se moquent bien de la reconnaissance de l’édition traditionnelle) sont les plus rapides à trouver d’autres chemins. Et ces autres chemins, ce sont Amazon KDP, BoD et autres plateformes d’auto-édition. Il n’existe pas encore de plateforme de collectif d’auteurs mais on y viendra peut-être. Les temps changent. Une start-up peut raisonnablement défier les maisons d’édition sur au moins 2 si ce n’est pas les 3 points du graal dont il était question plus haut.
Mais pour que ma vision idéaliste soit prise au sérieux, il faudrait que les maisons d’édition perdent de gros auteurs. Qu’elles souffrent. Jusqu’ici il n’y a pas eu de pertes. La plupart des auteurs indépendants qui connaissent le succès sont bien trop heureux de signer avec une maison d’édition quand l’occasion se présente pour (espérer) voir leurs milliers de ventes se transformer en millions. Il faudra encore bien des changements dans le milieu de l’édition pour convaincre les maisons de s’orienter un peu plus vers le service aux auteurs. Mais quand ça arrivera, ne sera-t-il pas trop tard pour convaincre les auteurs aux plus gros potentiels ?
Je serai ravie de lire ce que vous avez pensé de cet article dans les commentaires !
Bonjour,
J’ai beaucoup apprécié cette analyse. Je suis auteure autoéditée de maigre talent, aussi l’autoédition est pour moi une façon simple de s’exprimer sans contrainte. Je crains que si j’étais éditée je vivrai mal l’obligation de rectifier les manuscrits pour me conformer à un état d’esprit plus conventionnel susceptible d’intéresser les lecteurs. J’ai choisi la liberté donc, le talent viendra peut être un. jour….
Bonjour Amandine,
Et merci d’avoir pris le temps de laisser un message. Vous savez, moi je crois plus au travail et à la détermination qu’au talent alors persévérez et surtout, prenez beaucoup de plaisir dans ce que vous faîtes !
Ce débat est important mais difficile. Il faut aussi se mettre à la place des lecteurs. En France, ils ont encore tendance à faire confiance aux livres édités par des maisons d’édition plus qu’aux autoédités. Sans se rendre compte qu’ils font parfois confiance à ces éditions à compte d’auteur… Les autoédités, eux, ont aussi en charge de se professionnaliser. Une maison d’édition sérieuse propose surtout la correction très stricte du manuscrit, une mise en page impeccable et une couverture qui donne envie. Tout ce qui peut se faire en autoédition, mais cela coûte pas mal d’argent… J’ai eu la chance que l’on me confie la création d’une maison d’édition. Je viens à la fois de l’édition traditionnelle et de l’autoédition donc j’essaie de faire en sorte que les auteurs soient au cœur du projet, comme ce que vous dites dans l’article. Il ne s’agit pas juste de publier mais de permettre aux talents d’émerger et de proposer le meilleur aux lecteurs. J’espère y arriver, faire en sorte que les auteurs se sentent bien, impliqués à chaque étape pour construire un projet à long terme et non pas juste imprimer du livre… Il y aurait beaucoup à dire, mais l’article est déjà très bien écrit et constitue une belle base de réflexion. (je commente à titre personnel, j’ajoute donc un lien vers mon site personnel, je ne suis pas là pour promouvoir ma maison d’édition).
L’autoédition doit encore gagner en crédibilité auprès des lecteurs et des libraires, c’est vrai. Mais les mentalités évoluent peu à peu. Merci en tout cas d’avoir partagé votre expérience d’éditeur, Jean-Philippe !
Bonjour,
Je ne suis ni éditeur ni édité donc j’écris ce commentaire d’autant plus librement.
Il me semble que la rencontre entre le monde des éditeurs et le monde des auteurs est fondée sur des intérêts différents mais complémentaires :
– L’auteur souhaite être lu, et si possible pouvoir gagner de l’argent pour vivre de son écriture ;
– L’éditeur souhaite gagner de l’argent, et si possible le faire dans un domaine qui l’intéresse : la littérature.
Après, entre le gain financier et la passion, chacun règle son curseur comme il l’entend. Certains éditeurs sont de vrais passionnés d’écriture, certains auteurs aiment beaucoup (beaucoup) l’argent.
Un éditeur veut gagner de l’argent et doit le faire pour maintenir son activité. Pour cela, il fera ce qu’il faut pour que ses auteurs vendent des livres et lui rapportent de l’argent. Après, il connaît aussi la règle des 80/20 : 20% des auteurs qu’il publie lui rapportent 80% de ses revenus. Donc il va porter ses efforts sur ces 20%. C’est implacable. Pour les autres, ils vont devoir se prendre en main seuls s’ils veulent sortir du lot.
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’acte d’achat est avant tout un acte de confiance, pour un livre comme pour une bonne bouteille de vin. Et la confiance c’est :
– soit je connais l’auteur, parce que je l’ai déjà lu, il est passé à La Grande Librairie, ou…il est de ma famille !
– soit je me fie à un autre critère, et la maison d’édition est un critère important (comme les médailles sur une bouteille de vin :)). Cette notoriété acquise depuis des décennies est un socle solide pour les ventes, surtout si en plus le livre est bien placé dans la librairie…
Un auteur indépendant va surtout travailler sa notoriété personnelle (personal branding) pour agir sur le premier critère et vendre ses livres, une maison d’édition va travailler l’image de sa marque pour vendre les livres de ses auteurs.
Cette relation est donc un équilibre fin avec plusieurs curseurs à régler. Pas simple…
Exactement, pas simple ! Merci d’avoir pris le temps de partager cette belle analyse, Olivier !