Il existe un certain nombre d’astuces pour s’assurer que le début de votre histoire soit chaud bouillant. Ceux qui écrivent des romans littéraires se disent certainement : « Je n’ai pas besoin d’un début chaud bouillant pour mon histoire ». Eh bien, détrompez-vous. Même les débuts d’histoires littéraires doivent viser, au minimum, un feu couvant.
Je vis à Montréal, où l’hiver peut être brutal. Quand j’ai emménagé ici il y a bientôt huit ans, après avoir vécu onze ans à la Réunion et dix à Montpellier, j’ai découvert les plaisirs casaniers, au chaud dans ma maison.
Mais parfois, il faut bien sortir de chez soi. Partir en voyage, même si ce n’est que pour aller faire les courses. Ça signifie s’aventurer par des températures inférieures à zéro dans un véhicule glacial qui, s’il est vieux, peut ne pas démarrer. C’était une perspective que je redoutais, jusqu’à ce que je découvre deux choses formidable : le démarreur à distance et le volant chauffant. (Je connaissais déjà les sièges chauffants qui ne sont pas une option ici.)
Grâce au démarreur à distance, vous pouvez démarrer votre voiture depuis l’intérieur de votre maison, attendre que votre voiture soit prête à démarrer, puis vous glisser dans un véhicule chaud, le moteur prêt à prendre la route. C’est une invention très pratique.
C’est pareil pour vos histoires. Le lecteur commence une histoire à froid, et vous aimeriez qu’il s’échauffe le plus vite possible. Vous souhaitez le voir plonger dans une histoire chaude à l’incipit flamboyant et s’envoler vers des contrées connues de vous seul.
Bonne nouvelle : il existe des équivalents littéraires aux démarreurs à distance et aux sièges et volants chauffants. Les voici.
Commencez par la scène qui présente l’idée sur laquelle est construite votre histoire
C’est le moyen le plus simple et le plus efficace pour démarrer votre histoire de la meilleure façon possible. Si vous avez la possibilité de commencer de cette façon, faites-le. Peter Benchley l’a fait dans la première scène de son roman d’horreur, Les dents de la mer. Les détails de l’incipit du roman et de la scène d’ouverture du film diffèrent (dans le livre, il s’agit d’un homme et d’une femme qui partagent une maison sur la plage plutôt que d’un couple d’adolescents lors d’une fête sur la plage) mais l’action est la même : la femme va nager une dernière fois dans la mer tandis que son compagnon ivre s’évanouit. Et voilà, c’est l’histoire des Dents de la mer : un grand requin blanc monstrueux terrorise une station balnéaire.
Commencez par la scène qui annonce l’idée sur laquelle est construite votre histoire
Si vous pensez qu’il n’est pas possible de commencer votre histoire en présentant l’idée sur laquelle elle est bâtie, vous pouvez alors faire le deuxième meilleur choix : commencer par une scène qui annonce l’idée de l’histoire. C’est un procédé narratif qui s’appelle le foreshadowing.
L’exemple le plus célèbre est sans doute le début de la pièce Macbeth de Shakespeare. Les trois sorcières apparaissent comme un mauvais présage, surtout pour Macbeth. De nombreux contes de fées commencent également de cette manière. Dans La Belle au bois dormant, un roi et une reine qui ont attendu des années un enfant célèbrent son baptême. Ils invitent les sept fées du royaume à la fête. Mais une huitième fée, que l’on croyait morte depuis longtemps, se présente et jette un sort au bébé. C’est la scène qui annonce le jour où, des années plus tard, la princesse se pique le doigt et tombe dans un long sommeil. Vous connaissez la suite.
Pour utiliser un exemple plus contemporain, prenez L’histoire épatante de M. Fikry & autres trésors. Dans l’incipit, Amelia Loman, représentante, descend du ferry pour l’île Alice, en route pour son premier rendez-vous avec A.J. Fikry, propriétaire de la Librairie de l’île. Elle prend un appel de Boyd, son dernier date raté, bien décidée à le laisser tomber en douceur. Mais il l’insulte, s’excuse, et enfin, pleurniche. Finalement, elle lui dit que ça ne marchera jamais parce qu’il n’est pas un grand lecteur. Elle raccroche et se souvient de l’avertissement de sa mère selon laquelle « les romans ont ruiné les chances d’Amelia de trouver un homme, un vrai ». Et alors qu’elle est sur le point de passer à côté de la Librairie de l’île sans la voir, Amelia se dit que sa mère a peut-être raison.
Dans cette scène, le présage est clair : Amelia a besoin d’un homme qui aime lire dans sa vie. Elle est sur le point d’en rencontrer un correspond à ce critère mais qui semble inadapté à presque tous les égards… La possibilité d’une romance est tout de même là.
Commencez par la scène qui met en place l’idée sur laquelle est construite votre histoire
Vu un million de fois. Pensez à la scène d’ouverture du premier Star Wars, dans laquelle la princesse Leia cache les plans de l’Étoile de la mort dans R2-D2.
Les mémoires de Jeannette Walls, Le château de verre, s’ouvrent sur une scène qui commence par cette phrase : « Je me demandais dans le taxi si je n’étais pas trop habillée pour la soirée quand j’ai aperçu maman en train de fouiller dans une benne à ordures. » Elle poursuit en décrivant cette rencontre avec sa mère, et met ainsi en place le reste du roman, qui raconte l’histoire de son enfance douloureuse.
Attention à ne pas en écrire trop, trop tôt
Même si votre incipit met en place, annonce ou présente votre idée, il peut échouer à capter l’attention du lecteur. Quand ça ne marche pas, l’une des principales raisons, c’est que l’auteur essaie d’en raconter trop sur l’histoire trop tôt.
Raconter est le mot clé ici. L’auteur nous raconte l’histoire au lieu de la montrer (le fameux show don’t tell). De nombreuses scènes sont surchargées de toile de fond, de descriptions et de monologues intérieurs. Ça laisse peu de place à l’action qui devrait faire avancer l’histoire.
N’oubliez pas : ce que les lecteurs ont besoin de savoir pour lire l’histoire n’est pas ce que vous aviez besoin de savoir pour l’écrire. Le début est généralement la première partie de l’histoire que vous posez sur le papier. À ce moment-là, vous commencez tout juste à connaître vos personnages, votre cadre, votre intrigue et vos thèmes. Vous explorez les voix et les histoires de vos personnages, les particularités de votre cadre, les rebondissements, les détours et les impasses de votre intrigue, les nuances et les expressions de vos thèmes. Vous couchez vos pensées sur le papier, vous vous échauffez pour entrer dans votre histoire, et cet échauffement est une partie essentielle du processus d’écriture, mais tout comme l’échauffement avant de courir est primordial, ça ne fait pas partie de la course elle-même. C’est se mettre en condition.
Passez donc en revue les parties de votre incipit et supprimez celles qui masquent l’action afin d’arriver plus rapidement à votre idée principale. Éclaircissez votre écriture afin de mettre en valeur l’aspect dramatique de l’idée sur laquelle repose votre histoire.
Si vous avez du mal à éditer votre travail, essayez cette astuce. Imprimez vos premières pages et parcourez-les, en surlignant le texte de différentes couleurs pour distinguer la toile de fond, la description et le monologue intérieur.
- La toile de fond : c’est là que vous parlez de ce qui s’est déroulé dans le passé, avant que l’action de votre incipit ne commence (souvenirs d’enfance, relations passées, etc.).
- Description : les passages où vous décrivez votre cadre, expliquez le thème, détaillez l’histoire, etc.
- Monologue intérieur : ce sont les parties où vous dévoilez les pensées et les sentiments de votre personnage. Surlignez également les passages dans lesquels votre personnage est seul.
Ce n’est pas un exercice très excitant, mais donnez-lui une chance. Il vous suffit de feuilleter ou de faire défiler votre manuscrit pour savoir où vous devez modifier votre incipit. C’est vraiment un exercice utile.
Allez à la page 50
Souvent l’échauffement dure une cinquantaine de pages (ou environ 15 000 mots). Quand le début d’une histoire est lent, ennuyeux, obtus ou peu engageant, demandez-vous : que se passe-t-il à la page 50 de cette histoire ?
La page 50 est celle où de nombreuses histoires commencent vraiment. Allez à la page 50 de votre histoire, et voyez ce qui s’y passe. Qu’est-ce que votre protagoniste est en train de faire ? Comment ça se positionne par rapport à votre idée ? Ne soyez pas surpris si c’est là que votre histoire commence vraiment. Et si c’estnécessaire, n’ayez pas peur de jeter ces quarante-neuf premières pages d’échauffement pour bien démarrer votre course.
Tiens pour le coup, j’ai exactement le problème de la page 50, pour le récit que je travaille actuellement. Enfin, presque… L’histoire commence à la page 49, m’a-t-on dit.
Mais le problème, c’est que ces 49 premières pages ont une raison d’être. J’ai conscience que je vais devoir raccourcir et raconter les événements dans un autre ordre, mais ça fait chier. =D
Hahaha, comme je te comprends ! La théorie, c’est assez facile, mais en pratique, c’est autre chose… Mais il faut bien passer par là ! Bon courage pour retravailler ces 49 premières pages, Monstrothécaire !