Dans mon enfance, j’ai souvent entendu l’adage suivant : « Mieux vaut se taire et passer pour un imbécile que parler et dissiper tous les doutes ». C’est rare d’entendre ce conseil de nos jours. Mais, je l’ai pris à cœur et j’ai rapidement découvert l’étrange pouvoir du silence. Loin d’empêcher les gens de me juger, ça a eu l’effet inverse. En gardant le silence dans une salle pleine de gens qui parlent, puis en faisant une observation pertinente, j’ai souvent renforcé ma présence. Parfois, les gens écoutent plus attentivement quand vous finissez par parler. Ou ils attribuent au silence une signification qui n’existe pas.
Le silence, ou simplement parler moins, est un art qui peut être pratiqué de façon stratégique par les auteurs cherchant à attirer l’attention sur leur travail. C’est une stratégie particulièrement importante quand il s’agit d’influencer les personnes qui entendent parler de nouveaux livres tous les jours. Je pense aux éditeurs, aux agents littéraires, aux libraires, aux journalistes et autres critiques. Ces personnes, constamment sollicitées par des auteurs qui veulent parler de leurs livres, ressentent un immense soulagement quand elles s’adressent à quelqu’un qui sait donner juste ce qu’il faut d’informations pour permettre une conversation et une connexion naturelles. Personne ne veut d’un long discours qui se résume à : « S’il vous plaît, prêtez attention à mon livre ».
Imaginons qu’un auteur tente de présenter son livre à un libraire rencontré lors d’une soirée. Il lui sort l’accroche qu’il convient d’utiliser dans une lettre adressée à un agent littéraire ou à un éditeur. La réponse n’est pas mauvaise, mais pour un contexte de réseautage, elle est trop détaillée.
L’auteur devrait commencer par préciser que son livre est un roman. Puis il peut mentionner quelques détails permettant de le relier à quelque chose que le libraire connaît probablement déjà. Par exemple, notre auteur a écrit un roman basé sur des événements historiques concernant un sous-marin qui a coulé au large des côtes anglaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’adresse aux hommes qui aiment lire James A. Michener. Inutile d’en dire plus. Le libraire n’a pas besoin d’en savoir plus pour cerner le lectorat et déterminer si le livre convient à ses clients. Il dira peut-être : « Oh, je vends beaucoup de Michener. Dites-moi en plus sur ce que vous écrivez ». Ou bien il répondra : « Oh, je suis spécialisé dans la fiction féminine. Mais vous devriez vous adresser à tel ou tel bibliothécaire qui recherche ce genre d’ouvrages ».
Le type de détails que l’auteur partage avec quelqu’un dépend, bien sûr, du contexte. S’il s’adresse à un spécialiste des romans historiques sur la Seconde Guerre mondiale, l’auteur peut être plus précis sur les événements historiques ou le nom du sous-marin dans le livre. Si l’auteur s’adresse à quelqu’un qui ne comprend pas l’attrait ou le lectorat de James A. Michener, il serait préférable d’utiliser une comparaison différente, du genre : « Les gens qui aiment la chaîne Histoire sont mes lecteurs les plus fidèles ».
Pour bien vendre son travail, il faut notamment établir une relation avec les autres et comprendre leurs intérêts et leurs besoins. La conversation ne doit pas être centrée sur vous. Vous n’êtes pas assis avec Augustin Trapenard, en train de raconter comment vous êtes devenus auteur, la manière dont vous avez été inspiré pour écrire votre livre, les rebondissements de l’histoire et les surprises des recherches en cours de route. À la place, concentrez-vous sur la manière dont votre livre pourrait répondre au besoin de quelqu’un d’autre ou sur la recherche de points communs. Mettez de côté toute envie de digresser sur le contenu du livre. Faites plutôt preuve de curiosité et d’intérêt à nouer une relation professionnelle.
Il est possible que ça ne colle pas, mais ce n’est pas grave. Une belle relation peut encore se développer. Et surtout, vous ne deviendrez pas une personne à éviter plus tard, du genre : « Oh boy, y a cet auteur qui m’a coincé pendant 15 minutes et qui n’arrêtait pas de parler de son livre ».
Vous avez probablement déjà assisté à un événement où une personne du public se lève pour poser une question. Mais cette question est en fait un moyen pour elle de parler de son travail. Vous pouvez sentir les gens gigoter sur leur siège, se jeter des regards en coin. Ça se termine souvent par une interruption maladroite du modérateur : « Désolé, mais quelle est la question ? » ; c’est-à-dire, avons-nous quelque chose en commun dont nous pouvons parler ?
Cette envie de divulguer des détails peut cependant être irrésistible. Quand vous ressentez cette envie, identifiez-la et demandez-vous si vous pouvez gagner plus en en disant moins. Que pouvez-vous demander ou partager qui fera naître une relation avec cette personne plutôt qu’un désir de fuir ? En tant qu’auteur, vous ne devriez pas suivre l’adage et rester complètement silencieux. Mais vous pouvez permettre au silence de susciter une conversation plus utile et plus engageante.