Structures classiques du récit et élaboration d’une intrigue

La définition de référence de l’intrigue est celle d’Aristote qui estimait que l’intrigue était l’élément le plus important de la tragédie, plus important encore que les personnages.

Il pensait que les événements devaient être liés entre eux et, surtout, que l’intrigue devait susciter l’émotion du public.

Il a divisé la structure de l’intrigue en trois actes, coïncidant avec la nécessité d’un entracte pour le public. Le premier acte comprend la mise en place de l’histoire, communément appelée « incident déclencheur ». Les enjeux continuent d’augmenter dans le deuxième acte et amènent une fausse victoire, ce moment où on pense l’histoire finie, mais en fait non. La fausse victoire est un renversement majeur, car la trajectoire de l’histoire s’inverse. Le point culminant se situe au troisième acte, suivi du dénouement.

Le premier Star Wars est un excellent exemple de la structure en trois actes d’Aristote. L’incident déclencheur survient quand la tante et l’oncle de Luke sont tués, ce qui le pousse à quitter la planète avec Obi-Wan et met l’histoire en mouvement. Les enjeux augmentent dans le deuxième acte quand Luke sauve la princesse Leia, mais perd Obi-Wan. La fausse victoire survient quand Luke, Leia et Han s’échappent de l’Étoile de la mort. Mais ce n’est pas encore fini. Dark Vador gagne en puissance et sait où se cachent les rebelles. La destruction de l’Étoile de la mort par Luke est le point culminant, et le dénouement est la cérémonie de remise des prix à la fin du film.

Incident déclencheur. Enjeux croissants. Fausse victoire. Dénouement.

Le modèle de Freytag

À la fin du XIXe siècle, un écrivain allemand, Gustav Freytag, a proposé une modification du modèle d’Aristote. Les principaux changements apportés par Gustav Freytag permettent une mise en place plus approfondie des motivations du personnage principal au début, et de placer le point culminant au milieu, ce qui donne autant de temps au dénouement à la fin qu’à la mise en place au début.

La version cinématographique du Magicien d’Oz est l’exemple type de ce modèle de narration. On apprend l’insatisfaction de Dorothy à la maison, tout comme on apprend celle de Luke au début de Star Wars. Mais Dorothy a la motivation supplémentaire de devoir sauver Toto de l’euthanasie, d’échapper à une tornade imminente et d’écraser la méchante sorcière de l’Est, ce qui donne plus de poids à la première partie du Magicien d’Oz qu’au premier acte de Star Wars. Et le point culminant du Magicien d’Oz arrive en plein milieu quand Dorothy fait fondre la méchante sorcière de l’Ouest.

Il reste encore le magicien à rencontrer, le cerveau de l’épouvantail, le courage du lion et le cœur de l’homme de fer-blanc à obtenir, ainsi que Dorothy à ramener chez elle, ce qui contrebalance le début plus long. Ainsi, alors que la structure en trois actes d’Aristote ressemble davantage à une ligne ascendante régulière avec une chute brutale à la fin, la structure de Freytag peut être vue comme un triangle sans base.

Joseph Campbell et le voyage du héros

Les méthodes d’organisation de l’intrigue d’Aristote et de Freytag sont restées les modèles standards, avec peu de modifications, jusqu’aux années 1960, quand le mythologue Joseph Campbell a trouvé un public pour ses théories sur le voyage du héros. Selon lui, les histoires ne sont pas seulement les agents liants de la culture, mais aussi ce qui lie nos âmes à nos corps.

En d’autres termes, l’homme a besoin d’histoires pour survivre.

Joseph Campbell poursuit en affirmant que tous les mythes, qu’ils soient gravés sur la paroi d’une grotte, prononcés par un saint prêtre ou tapés par un étudiant de première année, se résument à une structure de base : la transformation de la conscience par le biais d’épreuves. Il a décomposé cette transformation en trois étapes, ou actes : le départ, l’accomplissement et le retour.

Ça vaut pour toutes les histoires, de la préhistoire à l’époque moderne en passant par la Bible.

Départ. Accomplissement. Retour.

J’aime l’élégance du modèle de Campbell, ainsi que son universalité. Beaucoup l’ont appliqué et l’appliquent encore. Vous reconnaîtrez cette structure départ-accomplissement-retour dans de nombreux films, comme Matrix, O’Brother, L’Histoire sans fin et Le Roi Lion. J’apprécie également l’avis d’Aristote selon lequel l’intrigue doit affecter le lecteur et que les scènes doivent être causales plutôt qu’épisodiques. Et tant pis si la plupart des récits captivants ne peuvent pas être décomposés en une structure en trois actes. Et Freytag a raison de souligner que nous devons ressentir un lien émotionnel au début de l’histoire.

Mais dans l’ensemble ? Ne vous sentez pas obligés de suivre à la lettre tout ce que vous venez d’apprendre sur les modèles académiques de structure narrative. La seule raison pour laquelle je les mentionne est qu’ils pourraient surgir dans une conversation et qu’en parler donne l’air intelligent. Vous pouvez aussi essayer de placer « schadenfreude », « épitomé » et « pulcritude ».

En réalité, essayer de suivre l’un des modèles académiques de structure narrative, c’est comme enfiler une couronne et des gants de soirée pour creuser une tranchée. D’après mon expérience, l’écriture est un travail de col bleu, et puis c’est tout. Vous devez plonger au cœur de vous-même et, par la suite, de vos personnages, découvrir ce qu’ils veulent plus que tout, dresser des obstacles sur leur chemin (comme la vie l’a fait pour vous), et les suivre tandis qu’ils les surmontent (ou non) et se rapprochent (et parfois s’éloignent) de leurs objectifs. Chaque événement doit mener directement à un autre événement ; c’est une chaîne de causes et d’effets.

Je ne suis pas la seule à penser que la clé d’une bonne intrigue est de comprendre ce que veut votre personnage et de le suivre. Si vous étudiez un écrivain, vous découvrirez que très peu d’entre eux utilisent l’une des structures classiques quand ils rédigent leur œuvre. Matthew Jockers, professeur américain, a mené une étude intéressante qui illustre parfaitement ce point. Il a conçu un programme informatique qui trace la silhouette émotionnelle, ou l’intrigue, de n’importe quel livre.

Matthew Jockers a utilisé des best-sellers pour son étude, notamment The Secret Life of Bees, La Nostalgie de l’ange, Les Apparences, Toute la lumière que nous ne pouvons voir, Da Vinci Code et Les Pages de notre amour. Quand il a programmé l’arc narratif de chacun de ces romans dans son logiciel, celui-ci a produit de jolies données qui ressemblent aux tracés irréguliers qu’on peut voir sur un moniteur de rythme cardiaque. En d’autres termes, les intrigues de ces best-sellers n’ont rien en commun : pas de structure en trois actes, pas de triangle sans base. La plupart des romans ne suivent pas les modèles classiques. Ils suivent leur propre rythme.

Il s’avère qu’il n’existe qu’une seule règle universelle en matière d’intrigue, et elle renvoie à ce que Joseph Campbell a découvert : toutes les histoires dignes d’être racontées sont des histoires de transformation par le biais d’épreuves. Il n’y a pas de modèle, car l’évolution de chaque personnage est aussi unique que votre transformation ou la mienne.

Donc la bonne (et la mauvaise) nouvelle, c’est qu’il n’existe pas de formule unique pour l’intrigue. La seule certitude est que votre personnage doit d’une manière ou d’une autre quitter sa vie habituelle pour rechercher ce qu’il désire plus que tout (l’amour, la justice, la reconnaissance, etc.), subir des épreuves transformatrices et revenir à une vie différente de celle qu’il menait auparavant.

C’est beau, non ? L’élaboration de l’intrigue est le moment où commence la véritable transformation de soi et où l’effort de l’écriture est mis à l’épreuve. Vous avez déjà une idée du genre et de l’histoire de votre roman, de votre protagoniste et de votre antagoniste. L’étape suivante consiste à décider ce que votre protagoniste veut plus que tout, à lui mettre des bâtons dans les roues et à le suivre tout au long de sa transformation. Assurez-vous que ce que désire votre protagoniste est aussi ce que vous souhaitez, afin que vous puissiez y mettre l’authenticité et l’énergie qu’exigent les romans à succès.

Il n’y a pas de formule, mais il y a des règles

Quand vous choisissez un objectif pour votre protagoniste et que vous structurez votre histoire, ça peut être utile de savoir qu’il n’y a pas de formule pour l’intrigue, mais qu’il existe quelques règles strictes.

  • Commencez votre histoire le plus près possible de la fin, pour paraphraser Kurt Vonnegut. Plongez au cœur de l’histoire et commencez à la décortiquer. Il en va de même pour les scènes, qui sont les éléments constitutifs de l’intrigue. Commencez une scène le plus près possible de la fin et terminez-la le plus tôt possible.
  • Le début du livre doit établir un lien émotionnel avec le protagoniste. Il n’est pas nécessaire que l’émotion survienne dès la première page, et le personnage n’a pas besoin d’être un saint, mais les lecteurs doivent ressentir quelque chose pour lui. En scénarisation, on appelle ça « sauver le chat ». Le protagoniste peut hurler sur des mamies, voler l’argent d’un sans-abri et tricher aux cartes, tant qu’il fait tout son possible pour tirer une créature de l’embarras. Cherchez ce genre de scène dans les films. Vous verrez que dans les dix premières minutes, le personnage principal s’efforcera de « sauver le chat ».
  • Le début du roman (quelque part dans les cinq premiers chapitres) doit établir ce que votre protagoniste désire plus que tout.
  • Le reste du roman doit consister en une série d’épreuves et de conflits, qui empêchent le protagoniste d’atteindre son objectif et lui arrachent des victoires. Ces épreuves ne peuvent pas être épisodiques. En d’autres termes, elles ne peuvent pas être de valeur égale, l’une après l’autre ; d’abord, votre protagoniste rencontre un lion, puis un ours, puis une inondation. Les épreuves doivent au contraire être liées d’une manière ou d’une autre, l’une menant inextricablement à l’autre, avec des enjeux de plus en plus importants. Votre protagoniste rencontre d’abord un lion, puis se cache dans une grotte pour s’échapper et découvre un ours, mais il ne peut pas sortir par l’arrière de la grotte parce qu’il y a une inondation et ne peut pas non plus sortir par là où il est entré car une lionne affamée est allongée à proximité, de sorte qu’il est forcé de s’échapper par un trou dans le toit de la grotte, où il découvre un monde dont il n’avait jamais soupçonné l’existence. Chaque action doit avoir une conséquence, doit être nécessaire. Si une action n’est pas le résultat de quelque chose qui s’est passé avant et n’affecte pas ce qui vient après, elle n’a pas sa place dans votre histoire.
  • Le personnage doit atteindre un point où tout semble perdu.
  • Le personnage doit terminer l’histoire avec une conscience différente de celle dans laquelle il l’a commencée, et la plupart des détails doivent être réglés.

C’est tout. Le reste de la narration est votre toile ; à vous de l’explorer.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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