4 méthodes pour faire de n’importe quelle idée un grand récit

Ce n’est pas difficile de s’inspirer d’une idée géniale, d’y réfléchir, et même de commencer à coucher l’histoire sur le papier. Mais beaucoup d’entre nous finissent par s’essouffler. Pourquoi ? Parce que le développement ne se fait pas tout seul. En fait, j’en suis venue à penser que le développement d’idées est la compétence numéro un qu’un auteur devrait posséder.

Comment les grands auteurs développent-ils des récits étonnants, rompent-ils avec la tradition et font-ils progresser la forme de leur fiction ? Ils prennent toutes les idées basiques qui leur viennent à l’esprit, et les éloignent de l’ordinaire. Quel que soit votre point de départ (histoire d’amour, d’amitié, mystère, quête), vous pouvez faire comme les grands auteurs : déformez. Amplifiez. Dirigez. Épurez.

1. Déformez

Chuck Palahniuk a déclaré qu’il s’était fortement inspiré de Gatsby le magnifique pour créer son roman Fight Club. J’ai lu les deux livres (plusieurs fois), mais je n’ai jamais perçu ce parallèle. Chuck Palahniuk dit : « En réalité, ce que j’écrivais, c’était juste Gatsby le magnifique un peu modernisé. Il s’agissait d’une fiction « apostolique », dans laquelle un apôtre survivant raconte l’histoire de son héros. Il y a deux hommes et une femme. Et l’un des hommes, le héros, est tué par balle ». Chuck Palahniuk a transformé une histoire d’amour traditionnelle se déroulant dans la haute société de l’Amérique des années folles en un récit violent et sanglant d’obsession sexuelle, de culte et de perturbation sociale dans un monde pourri.

Il a transformé les idées de Gatsby en quelque chose de tout à fait personnel. La prochaine fois que vous aurez une idée géniale pour une histoire, ne vous arrêtez pas là. Déformez-la, en la rendant plus singulière (et plus puissante) à chaque transformation :
Sortez de votre tête et entrez dans vos tripes.

Donnez à vos personnages des désirs intimes (sexuels ou autres) qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ne peuvent pas gérer sur le plan cognitif. Chuck Palahniuk a donné à son personnage principal une envie innommable, un désir qui le pousse à se faire passer pour un cancéreux et à participer à des groupes de soutien où les étreintes et les pleurs ne sont pas seulement acceptables, mais attendus. Briser le tabou de l’exploitation d’une douleur inexistante ne donne pas que du relief au personnage : ça fait avancer l’histoire à pas de géant.

Réfléchissez à qui pourraient être vos personnages en réimaginant leurs motivations.

Imaginons que votre personnage principal soit un insomniaque qui a besoin de chocolat pour s’endormir. Transformez cette envie en quelque chose de totalement inquiétant pour tout le monde sauf pour votre protagoniste. Ne serait-il pas plus percutant qu’il doive, par exemple, voler un objet coûteux exactement une heure avant de se coucher ?

Sortez des schémas familiers.

Beaucoup d’auteurs écrivent des personnages dont le passé est similaire au leur, du moins en ce qui concerne la classe sociale, l’éducation et l’argent. Mettez tout ça de côté. Inventez des milliardaires, des clochards, des toxicomanes, des désespérés, des héros. Donnez-leur des habitudes merdiques et égoïstes, des ressentiments, des rancunes. Mélangez les traits de caractère. Faites des créatures sauvages à partir de citadins sophistiqués et des citadins sophistiqués à partir de créatures sauvages.

Ajoutez de la folie.

La clé pour rendre un personnage fou de manière crédible et convaincante, c’est de lui donner un moyen de rationaliser son comportement, qu’il soit juste légèrement bizarre ou carrément scandaleux. Votre personnage est-il réellement fou ou y a-t-il autre chose qui se trame ? Comment peut-on le savoir ? Les personnages fous ont besoin de beaucoup de ressources pour éviter les ennuis et peuvent avoir un impact majeur sur les autres. Amusez-vous avec ça.

2. Amplifiez

Brève Rencontre est un film britannique adapté de la pièce de théâtre Still Life de Noël Coward. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme sans histoires. Ils sont mariés chacun de leur côté, se rencontrent et tombent amoureux. Mais, pris de remords, ils mettent fin à leur relation avant qu’elle ne démarre vraiment. Cette petite tragédie exquise a trouvé un écho dans les codes de conduite romantiques et distingués de l’Angleterre d’avant-guerre.

Dix ans plus tard arrive Tennessee Williams avec sa pièce La Chatte sur un toit brûlant. C’est une histoire d’amour qui aborde des thèmes similaires, mais qui nous arrache à tout semblant de civilisation. Tennessee Williams ne pouvait pas mieux amplifier le psychodrame ! D’une part, il savait qu’une histoire sur les nobles idéaux ne suffirait plus. Situant sa pièce dans le mélange émotionnellement brutal du Sud américain de l’après-guerre, il s’est attaqué à la moelle secrète de ses protagonistes comme de ses antagonistes, exposant les faiblesses et les illusions qui lient les gens en surface tout en les déchirant dans l’intimité.

Prenez l’essence de votre histoire et amplifiez-la :
Ajoutez des personnages et faites monter l’émotion.

Les dramaturges avaient l’habitude de limiter le nombre de personnages dans leurs histoires, pour ne pas surcharger la scène. Mais quand Tennessee Williams fait entrer six ou huit personnages en même temps sur la scène et les met tous au coude à coude, nous avons l’occasion de ressentir leur claustrophobie émotionnelle et leur interdépendance non désirée. Amplifiez votre action en ajoutant la ruse, la vindicte, la jalousie, la peur d’être démasqué, la stupidité, voire la mort.

Mettez en évidence les hémorragies internes.

Les blessures les plus profondes et les plus douloureuses sont les blessures invisibles que les humains s’infligent les uns aux autres et s’infligent à eux-mêmes de mille façons : trahison, égoïsme, abandon. Efforcez-vous d’écrire des personnages vulnérables à la douleur, dont les secrets sont si proches d’être révélés qu’ils ne peuvent plus se permettre d’être polis. Amenez la vérité et regardez la chair intérieure se déchirer et griller.

Créez des liens de sang.

Les liens de parenté sont une mine d’or pour les histoires. Faites votre choix et prenez votre temps avec ses aspects les plus sombres : bouc émissaire, favoritisme, jalousie. Un lien de sang peut instantanément exacerber n’importe quel conflit, car la parenté est la seule chose dans la vie que l’on ne peut pas changer ou dont on ne peut pas se défaire. Faites en sorte que vos personnages l’apprennent à leurs dépens.

3. Dirigez

Beaucoup de grandes histoires modernes jaillissent des mêmes graines que les vieux contes populaires. L’assujettissement des jeunes femmes, par exemple, n’est pas seulement l’une des plus anciennes oppressions, c’est aussi l’une des plus pernicieuses (d’où sa résonance avec tous les types de publics). Nous rencontrons Cendrillon pour la première fois dans l’arrière-cuisine, esclave des exigences brutales de sa belle-mère et de ses demi-sœurs plus âgées. Quand Cendrillon tente de prendre des initiatives pour améliorer sa situation, elle est réprimée et punie.

Margaret Atwood, dans son célèbre roman dystopique La Servante écarlate, éloigne l’archétype de Cendrillon de tout foyer et de toute relation. Elle multiplie Cendrillon par mille, et toutes les Cendrillons sont maintenues en vie pour le seul atout qu’elles possèdent et qui ne peut être synthétisé (du moins, pas encore !): leur utérus fertile. Leur but est de procréer une société qu’on ne souhaite voir nulle part. Et il n’y a pas de beaux princes pour venir changer les choses.

Margaret Atwood a poussé Cendrillon jusqu’à un point presque (mais pas tout à fait) jusqu’à la méconnaissance. Et c’est là que réside toute la puissance du récit.

Vous aussi, vous pouvez faire de votre fiction une magie qui vous prend aux tripes en menant votre récit à une conclusion qui va plus loin que vous ne l’auriez jamais imaginé :
Commencez par le cœur de votre idée et accélérez.

Les agents littéraires et les éditeurs disent souvent aux nouveaux auteurs : « Ne commencez pas par le début, commencez par le milieu », ce qui signifie généralement : « Ne perdez pas de pages à mettre en place le noyau de votre histoire ». Essayez de commencer par votre point le plus épineux, puis faites-le avancer en utilisant les mêmes techniques que celles qui ont permis d’aboutir à votre idée.

Faites-en plus qu’une affaire individuelle.

Comment une organisation pourrait-elle intimider et assujettir ? Rendez-la légale ; avancez pas à pas. L’anarchie n’est pas aussi effrayante que l’effondrement de l’ordre social avec les mauvaises personnes aux commandes. Une organisation peut être aussi petite qu’un relais routier, une communauté de compagnons ou un enterrement de vie de jeune fille. Au début, tout semble normal, puis les choses se détériorent progressivement et tournent mal.

Ajoutez la complicité d’une victime.

La société polie et politiquement correcte n’est pas du tout à l’aise avec l’idée qu’une victime soit complice de sa propre oppression. Tant mieux ! Le malaise vient du fait que tout le monde sait, mais ne veut pas savoir qu’une telle perversion de l’esprit humain existe ; elle est réelle parce que l’auto-illusion est réelle. Brisez le tabou et utilisez-le pour rendre votre récit à couper le souffle, comme un navire qui se brise sur un récif.

Introduisez un choix impossible.

Les femmes du roman de Margaret Atwood sont confrontées chaque jour à un choix impossible : doivent-elles suivre le mouvement ou se rebeller ? Se soumettre, c’est se détruire de l’intérieur ; se rebeller, c’est s’exposer à une destruction certaine de l’extérieur. Un choix impossible peut confronter quelqu’un qui est victime de chantage, ou quelqu’un qui doit absolument avoir deux choses contradictoires, ou toute autre possibilité. Et ça peut orienter votre histoire dans de sacrées nouvelles directions.

4. Épurez

La guerre est à l’origine d’innombrables œuvres créatives. En élaborant Guerre et Paix, Léon Tolstoï a mis en scène tout ce qui lui venait à l’esprit, car la guerre est un phénomène d’une telle ampleur ! Pour représenter l’invasion française de la Russie et l’ère napoléonienne qui l’accompagne, il a écrit une épopée qui suit des dizaines de personnages. Le poids écrasant des détails de Guerre et Paix nous aide à comprendre l’impact de la guerre sur les individus et les institutions qu’ils croyaient inébranlables.

Mais Ernest Hemingway, un jeune homme ébranlé par sa propre expérience de la Première Guerre mondiale, a épuré tout ce qui lui venait à l’esprit parce que la guerre est aussi petite qu’un homme. Confronté aux réalités de la guerre, il a écrit ce qui lui venait à l’esprit, puis l’a épuré et poncé jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des morceaux durs et brillants. Le résultat, In Our Time, est un recueil de vignettes et de nouvelles qui évoque l’horreur immédiate et la douleur persistante de la plus horrible des activités humaines.

Quand vous avez l’impression qu’aucun nombre de mots ne peut vraiment représenter la réalité d’une chose, explorez ce qui pourrait se produire si vous épurez votre idée pour permettre à la miniature de suggérer l’infini :
Transmettre l’émotion par l’action, et non par la description.

Les conteurs inexpérimentés essaient souvent de faire ce que Tolstoï faisait bien : non seulement montrer ce qui se passe, mais aussi raconter en détail et en profondeur ce que chacun ressent à ce sujet. Faites plutôt comme ce cher Hemingway : quand le père de Joe, dans My Old Man, meurt écrasé sur un hippodrome, Hemingway laisse simplement Joe nous raconter que les flics l’ont retenu, à quoi ressemblait le visage mort de son père et qu’il était difficile de s’arrêter de pleurer à ce moment-là. Vous pouvez présenter des émotions de vie ou de mort sans en dire un mot. Adopter cette approche dès le début du développement de votre idée peut vous épargner beaucoup de travail d’écriture et de réécriture par la suite.

Utilisez de petits détails pour donner vie à de grandes choses.

Un champignon atomique ou un enfant brûlé qui pleure ? Un mariage avec des milliers d’invités ou le goût intime d’un amant ? Un récit de voyage ou la sensation d’accélération sur une route de montagne ? Il n’est pas trop tôt pour commencer à penser aux détails. Soyez exigeant. Qu’est-ce qui fait battre votre cœur ? Ces moments fugaces peuvent vous fournir la description que vous cherchez.

Quand vous mettez en œuvre ces techniques, ne vous acharnez pas sur l’une d’entre elles ; adoptez une approche légère et détendue et laissez les idées s’enchaîner. Si vous procédez ainsi, votre créativité innée prendra le dessus. Dans les moments où vous êtes vraiment lancé, vos idées sembleront se développer d’elles-mêmes ; elles seront plus brillantes et plus profondes.

En combinant des idées brillantes avec le courage et la volonté de les concrétiser, vous ne resterez pas à tambouriner du doigt sur le bureau. Vous écrirez des histoires bien développées avec de grandes chances de rencontrer le succès.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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