Jusqu’où tenter d’être publié en maison d’édition ?

Note : j’ai écrit une version courte de cet article en janvier dernier qui s’intitulait Perdez-vous votre temps à essayer d’être publié ? Plutôt que de la modifier, je préfère la développer ici.


Ne souhaitez-vous pas que quelqu’un vous dise si vous êtes sur le point d’être publié dans une maison d’édition traditionnelle ? Ne souhaitez-vous pas qu’on vous dise : « Continue comme ça et dans trois ans, c’est bon. » ?

Ou, même si ça vous ferait de la peine, ce ne serait pas bien qu’on vous dise que vous perdez votre temps pour que vous puissiez aller de l’avant ? Vous pourriez alors tenter une autre approche (comme l’autoédition). Ou peut-être même changer complètement de cap et produire un tout autre travail créatif ?

Il est facile de voir, en général, quand un auteur perd son temps. Peu importe où vous en êtes dans votre quête de la publication, vous devriez régulièrement faire le point sur votre but. Et le revoir si nécessaire.

Reconnaître ce qui ne vous aide pas à être publié

On commence avec les quatre comportements qui vous font perdre votre temps. Vous vous sentirez peut-être coupable d’un ou deux d’entre eux. La plupart des auteurs ont été coupables du premier.

1. Soumettre un manuscrit qui n’est pas votre meilleur travail

Soyons honnête. Nous espérons tous qu’un éditeur lise notre travail. Qu’il lâche tout ce qu’il est en train de faire pour nous appeler et dire : « Ce livre est génial ! Vous êtes un génie ! »

Quelques auteurs abandonnent complètement ce rêve. Mais si ce n’est pas votre cas, pour augmenter les chances de le voir se réaliser, vous devez donner le meilleur de vous-même dans chacun de vos manuscrits. Ne vous retenez pas. Beaucoup d’auteurs ne se donnent pas à fond au premier manuscrit pour faire mieux aux suivants comme s’ils pouvaient manquer de matières premières.

Ça ne marche pas comme ça.

Tout votre génie doit aller dans votre projet en cours. Ayez confiance, votre jauge se remplira à nouveau. Rendez votre livre mieux que ce que vous imaginiez, c’est ce qu’il faut pour être compétitif. Il ne peut pas se contenter d’être bon.

Les « bons » livres sont refusés. Votre travail doit être le meilleur. Comment savoir une fois le manuscrit fini si c’est le meilleur ? Voici ce que mon expérience personnelle me fait répondre : « Si vous pensez que l’histoire a un problème, c’est qu’il y en a bien un. Et toute histoire où on trouve un problème n’est pas prête. »

Il est tout à fait normal qu’un nouvel auteur envoie son manuscrit sans réaliser à quel point il y a encore du travail à faire. Mais les auteurs chevronnés se sentent généralement coupables d’envoyer un manuscrit qui n’est pas prêt. Ne gaspillez plus votre temps.

2. S’autoéditer quand on ne vous prête pas attention

Beaucoup de raisons poussent les auteurs à choisir l’autoédition. Mais la plus commune est l’impossibilité d’être publié par une maison d’édition traditionnelle.

Heureusement, il est aujourd’hui possible pour un auteur de connaître le succès sans passer par l’édition traditionnelle. Mais quand l’auteur choisit l’autoédition comme une alternative à l’édition traditionnelle, il ont souvent une mauvaise surprise.

Personne ne lui prête attention. Il n’a pas d’audience.

Depuis 2016, environ 17 % des livres enregistrés au dépôt légal chaque année sont issus de l’autoédition, contre 10 % en 2010, selon les bilans publiés par l’Observatoire du dépôt légal. Ces chiffres sont vraisemblablement en deçà de la réalité puisque certains auteurs n’effectuent pas cet enregistrement.

Si votre objectif est de mettre votre travail sur le marché avec succès, vous perdez votre temps en l’autopubliant (peu importe le format) si vous n’avez pas déjà une audience ou si vous ne pouvez pas promouvoir votre livre auprès de votre réseau. L’autopublier ne causera pas de tort à votre carrière sur le long terme. Mais ça ne la fera pas progresser non plus.

3. Chercher à publier un travail régional ou de un niche dans une grande maison d’édition

Le livre de recette de votre grand-mère n’entre probablement pas dans la ligne éditoriale de Gallimard.

Ça semble évident dit comme ça mais tous les ans, les éditeurs reçoivent des centaines (des milliers ?) de manuscrits qui ne correspondent pas à leurs lignes éditoriales. Et qui ne méritent pas de se trouver sur les étagères de toutes les librairies de France.

Évidemment si votre grand-mère s’appelle Maïté ou si elle a gagné la dernière édition de Top Chef, oui, ça intéresserait une grosse maison d’édition. Mais c’est une autre histoire.

Une des tâches les plus difficiles pour un auteur, c’est d’avoir suffisamment de recul sur son travail pour comprendre de quelle façon un éditeur le verrait sur le marché ou de déterminer s’il y a un angle commercial à exploiter. Vous devez voir votre travail non pas comme la prunelle de vos yeux mais comme un produit qui doit être positionné et vendu. Ça veut dire présenter votre travail uniquement aux maisons d’édition appropriées. Même si c’est une petite maison d’édition et pas la grosse dont vous rêviez.

4. Se concentrer sur la publication alors que vous feriez mieux d’écrire

De nouveaux auteurs s’inquiètent beaucoup trop des lettres de présentations, des maisons d’édition ou du marketing alors que leur travail n’est pas encore achevé. Ne gaspillez pas votre énergie à chercher une maison d’édition tant que vous êtes pas fin prêt à être publié.

Je ne recommande pas de rester seul dans son coin. Les auteurs ont besoin de sociabiliser et de développer des relations avec d’autres auteurs. Mais je vois beaucoup d’auteurs sur Twitter s’inquiéter du processus de publication avant même de s’être prouvé qu’ils sont bien capables de s’atteler à l’écriture et à la réécriture de milliers de mots, avant même d’avoir suffisamment travaillé pour produire un manuscrit prêt à être publié.

Et maintenant on arrive à la fameuse question : comment savoir quand vous avez suffisamment écrit et réécrit ? Comment savoir quand votre manuscrit est prêt ?

Évaluer sa position sur le chemin de la publication

Je pense qu’il y a trois questions à se poser :

1. Combien de temps avez-vous passé sur ce manuscrit et qui l’a déjà lu ?
2. Est-ce le premier manuscrit que vous avez achevé ?
3. Depuis combien de temps écrivez-vous (vraiment) ?

Ces trois questions aident l’auteur à évaluer où il en est dans sa quête de publication. Et voici quelques généralités.

  • Beaucoup de premiers manuscrits ne sont pas publiables, même après avoir été retravaillés. Et pourtant ils sont nécessaires pour la progression de l’auteur. Un auteur qui vient d’achever son premier manuscrit ne le réalise probablement pas et va certainement mal prendre les refus des maisons d’édition. Certains ne parviennent pas à aller de l’avant ensuite. Vous avez déjà peut-être déjà entendu des auteurs chevronnés dire qu’il faut toujours travailler sur le manuscrits suivant plutôt que d’essayer de publier le premier. C’est parce qu’il faut aller de l’avant et ne pas faire une fixette sur le premier essai.
  • Un auteur qui a travaillé sur le même manuscrit pendant des années (et qui n’a rien écrit d’autre) peut se retrouver coincé. En général, on n’apprend rien de spécial en bricolant les mêmes pages toute une décennie.
  • Les auteurs qui écrivent assidûment depuis des années, qui ont plusieurs manuscrits à leurs actifs, qui ont un ou deux partenaires de confiance pour juger avec objectivité leur travail sont souvent bien partis pour être publiés. Ils connaissent probablement leurs forces et leurs faiblesses et sont capables de retravailler leurs textes efficacement. Il ne manque plus qu’un peu de chance à ces auteurs pour être publié.
  • Les auteurs qui ont une grande expérience dans un média et qui tentent de se lancer dans un autre (comme un journaliste qui se lance dans l’écriture d’un roman) peuvent surestimer leurs capacités à produire un manuscrit publiable du premier coup. Ça ne veut pas dire que leurs manuscrits seront mauvais. Ils ne seront pas assez bons. Heureusement, un auteur avec une telle expérience professionnelle approchera l’écriture dans un état d’esprit un peu plus tourné vers les affaires, un bon réseau de contacts pour l’aider à comprendre chaque étape et un bon nombre d’outils pour relever le défi.

Vous remarquerez que je n’ai pas parlé de talent, de cours d’écriture ou de diplômes ni de présence sur les réseaux sociaux. Ces facteurs ne sont pas pertinents pour déterminer si vous êtes sur le point d’être publié.

Les deux points qui sont pertinents :

1. Le temps consacré à l’écriture. Vous connaissez « la règle de 10 000 heures » ? Il faut 10 000 heures de pratique pour atteindre le niveau de maîtrise associé à un expert de classe mondiale. Et ce dans n’importe quel domaine.
2. Le temps consacré à la lecture. C’est en lisant suffisamment que vous saurez où vous vous trouvez sur le spectre de la qualité. Si vous ne percevez pas la différence de qualité entre ce que vous lisez et ce que vous écrivez alors peut-être que vous ne lisez pas assez. Comment développer le bon goût ? En lisant. Comment percevoir la qualité d’une œuvre ? En lisant. Quelle est la meilleure façon d’améliorer son écriture à part écrire plus ? En lisant. Écrivez, lisez et l’écart entre la qualité de ce que vous voulez produire et de ce que vous pouvez produire se réduira. Pour faire court : il faut écrire beaucoup de textes pas terribles avant de sortir un manuscrit qui corresponde aux standards d’une grosse maison d’édition.

Les signes que vous vous approchez d’une publication

  • Vous recevez des lettres refus personnalisées et encourageantes.
  • L’éditeur refuse votre manuscrit mais vous demande de lui envoyer le prochain. (Ils voient bien que vous n’êtes pas loin d’écrire quelque chose de splendide.)
  • Un ami auteur vous conseille de contacter son éditeur sans que vous ayez demandé quoique ce soit.
  • Un éditeur vous contacte spontanément. Il a repéré la qualité de vos écrits quelque part en ligne ou en autoédition.
  • Avec le recul, vous comprenez pourquoi votre manuscrit a été refusé et en avez peut-être même honte.

Savoir quand il est temps de changer de cap

Avant, je pensais qu’un excellent livre finirait forcément par être repéré.

Je n’y crois plus aujourd’hui.

D’excellents livres sont sous-estimés tous les jours pour mille raisons. Le souci financier prend le pas sur le souci artistique. Certains auteurs n’auront juste jamais de chance.

Pour vous éviter de vous taper la tête contre le mur, voici quelques questions qui vous aideront à comprendre quand et comment changer de cap.

1. Votre travail est-il commercialement viable ?

S’il ne l’est pas, vous finirez par entendre certaines choses. « Votre travail est trop original ou excentrique. » « Ça ne touche pas une large audience. » « C’est expérimental. » « Ça ne rentre pas dans la ligne éditoriale. » Voire : « C’est trop intellectuel. » Ces signes disent que vous devriez peut-être envisager l’autoédition (mais ça veut dire aussi trouver l’audience de niche qui vous correspond.)

2. Les lecteurs ont-ils montré un engouement inattendu pour une de vos œuvres ?

Ça peut arriver : vous avez travaillé sur un manuscrit qui n’intéresse personne alors qu’un projet que vous trouvez tout à fait secondaire connaît un énorme succès. Vous avez peut-être envie de mettre en avant vos mémoires. Mais c’est une série humoristique de votre blog qui plaît à vos lecteurs. Parfois il vaut mieux faire avec ce qui fonctionne et ce qui plaît clairement à vos lecteurs. Particulièrement si vous y prenez plaisir. Servez-vous en comme un tremplin pour d’autres travaux si nécessaire.

3. Devenez-vous amer ?

Vous ne pouvez pas vous apitoyer sur votre sort, vous victimiser et espérer être publié. Comme dans une relation amoureuse, ce n’est pas en poursuivant un éditeur d’un air désespéré que vous allez vous faire apprécier. Les auteurs aigris tiennent une grosse pancarte. Il y est écrit : « Je suis malheureux et je vais vous mener la vie dure. »

Si vous diabolisez toutes les personnes qui travaillent en maison d’édition, si vous prenez mal les lettres de refus, si vous pensez qu’on vous doit quelque chose, et/ou si vous vous plaignez sans cesse auprès d’autres auteurs sur Twitter, il est temps de faire une pause. Retournez à ce qui vous apporte joie et excitation dans l’écriture. Peut-être que vous vous êtes trop occupé à être publié. Vous en avez oublié de chérir les autres aspects de votre travail. Ce qui me ramène à ce que je vous disais plus haut : vous devriez régulièrement faire le point sur votre objectif. Et le revoir si nécessaire tout au long de votre carrière.

Revoir vos plans de publication

Peu importent les changements dans le monde de l’édition, pensez à ces trois facteurs intemporels quand vous prenez des décisions concernant vos prochaines étapes.

1. Ce qui vous rend heureux

La raison pour laquelle vous écrivez. Même si vous la reléguez au second plan pour vous avancer sur d’autres aspects de votre projet d’écriture et de publication, ne la perdez pas de vue trop longtemps. Sinon vos efforts vont devenir mécaniques, vous perdrez peut-être votre inspiration et finirez complètement rincé.

2. Ce qui paie

Tous les auteurs ne s’inquiètent pas de gagner de l’argent en écrivant (et à mon avis, pour devenir riche, il vaut mieux faire un autre métier). Mais en prenant de la bouteille, les choix que vous ferez dans ce domaine deviendront plus importants. En avançant dans votre carrière, vous devrez accorder plus d’importance à ce qui vous rapporte le plus en fonction du temps et de l’énergie investis. Une fois le succès au rendez-vous, vous n’aurez pas le temps de courir après toutes les opportunités. Vous devrez faire des choix.

3. Ce qui touche vos lecteurs ou développe votre audience

Développer son lectorat est aussi important que de toucher un revenu de son activité. C’est comme mettre un peu d’argent en banque, faire un investissement qui vous rapportera au fil du temps. Parfois, vous ferez quelques compromis. Vous gagnerez moins d’argent mais développerez votre lectorat parce que c’est un investissement pour votre futur. (Par exemple, vous pourriez vous concentrer pendant quelques temps à mettre un blog ou un site sur pied plutôt que d’écrire votre livre pour développer une ligne directe vers vos lecteurs.)

Il est rare que tout ce que vous écrivez ou que chaque opportunité qui se présente regroupe ces trois éléments. En général, il y en a deux sur les trois. Parfois, vous mènerez des projets avec un seul de ces facteurs en jeu. C’est à vous de décider en fonction de vos priorités du moment.

Au tout début de cet article, j’écrivais que ce serait sympa si quelqu’un pouvait nous dire si nous perdons notre temps à essayer d’être publié en maison d’édition.

Voici un brin d’espoir. Si vous avez pensé « je ne m’arrêterai jamais même si on me dit d’abandonner », alors vous êtes plus proche de la publication que quelqu’un de facilement découragé. C’est une guerre psychologique que vous menez là. Ceux qu’on ne peut pas dissuader sont plus à même d’atteindre leurs objectifs peu importe le chemin emprunté.

Coralie Raphael
Coralie Raphael

Je parle beaucoup d'auto-édition et essaie d'aider les auteurs à comprendre dans quoi ils mettent les pieds. Parfois j'écris aussi des livres.
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4 commentaires

  1. Juste cette phrase : « C’est en lisant suffisamment que vous saurez où vous vous trouvez sur le spectre de la qualité. »

    Elle mériterait un débat à elle toute seule. Est-ce vraiment bien de prendre pour exemple de qualité les œuvres populaires déjà éditées ? Dans le lot, s’il y a parfois d’excellents auteurs, d’autres ne cassent pas trois briques…Ce n’est pas parce qu’un texte est publié qu’il est bon. (malheureusement ! )

    Hormis ça qui me fait réagir, c’est un chouette article. ?

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